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Troubles neurocognitifs majeurs : du pareil au même

by Sube Banerjee
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Tout semblait avoir changé dans le domaine des soins aux personnes atteintes de trouble neurocognitif majeur (autrefois appelé « démence »). C’était devenu un dossier prioritaire; les attitudes et les connaissances s’amélioraient chez les internenants, la prestation des services et des soins aussi. Puis la COVID‑19 est apparue, provoquant une onde de choc dans tout le secteur qui a révélé qu’au fond, peu de choses avaient vraiment évolué, notamment pour la population particulièrement vulnérable vivant dans les maisons de soins de longue durée.

Soixante-dix pour cent de tous les décès causés par la COVID‑19 au Canada ont eu lieu dans ces établissements; le même scénario s’est répété ailleurs dans le monde. Si cette hécatombe s’est produite, c’est parce que notre société considère comme des êtres de moindre valeur les personnes âgées en général, et celles qui souffrent d’un trouble neurocognitif (TNC) majeur en particulier.

On compte plus de cinquante millions de personnes atteintes de TNC majeur dans le monde; d’ici 2050, ce chiffre grimpera à cent cinquante millions. Cette maladie coûte 12 milliards de dollars par an au Canada et plus que mille milliards à l’échelle mondiale. Une grande part de cet argent est consacrée à la prestation de soins de longue durée aux aînés dans des pays à revenu élevé comme le Canada et le Royaume-Uni.

Ce qu’on sait moins, par contre, c’est que 85 % des personnes vivant en établissement souffrent d’un trouble neurocognitif et 70 % d’entre elles d’un TNC majeur.

La prestation des soins de longue durée s’adresse principalement aux personnes souffrant d’un TNC majeur. Ce sont elles que nous avons sacrifiées durant la pandémie actuelle.

Depuis dix ans, la situation avait radicalement changé pour les personnes atteintes et leurs proches. Grâce au travail fantastique réalisé par des organismes à but non lucratif comme la Société Alzheimer, les vrais problèmes touchant leur prise en charge ont été mis au jour. Au Royaume-Uni, en France et au Canada, des stratégies nationales ont été élaborées pour faire de ce dossier une priorité. Les choses ont commencé à bouger. Des services de diagnostic et de traitement ont été instaurés grâce aux pressions exercées et aux travaux scientifiques. Le taux de diagnostic s’est amélioré, tout comme la qualité des soins, depuis l’établissement du diagnostic jusqu’au stade de fin de vie.

Des projets faisant preuve d’une grande créativité ont vu le jour, comme les cafés de la mémoire et les activités musicales stimulantes pour le cerveau. La campagne Amis de la santé cognitive, qui a touché plus de 20 millions de personnes dans 56 pays, aura également contribué à améliorer les connaissances sur les TNC majeurs.

Mais la COVID-19 a frappé. La pandémie a démontré que bien peu de choses avaient changé sur le plan des priorités et des valeurs fondamentales, des attitudes et des croyances au sein du système de santé, de la classe politique et même du personnel plein de bonne volonté mais sous tension, présent sur la ligne de front, aux prises avec de difficiles décisions.

Nous avons géré les pressions que subissaient les hôpitaux généraux au prix de milliers de vies, celles de personnes âgées mourantes hébergées dans les maisons de soins de longue durée. Nous avons considéré que ces maisons revêtaient moins d’importance que les hôpitaux, la conséquence d’une discrimination consciente et inconsciente.

Les maisons de soins infirmiers ont été les dernières à recevoir des équipements de protection individuels et des tests de dépistage. On leur a donné instruction de ne pas transférer leurs pensionnaires à l’hôpital et de reprendre des personnes malades, qui parfois n’avaient pas été testées, afin de libérer des lits d’hôpitaux au profit de malades apparemment plus méritants.

La loi élisabéthaine sur les pauvres, édictée en 1601, établissait une distinction entre les pauvres méritants, à qui il fallait venir en aide, et les pauvres non méritants, qui n’en étaient pas dignes. Voilà qu’en cette seconde période élisabéthaine marquée par la crise de la COVID-19, s’est ravivé un vieux réflexe discriminatoire envers les aînés et les personnes atteintes de maladies neurocognitives, qui a mené à la création d’une classe de « malades non méritants ».

Pareille attitude nous a conduits à refuser de soigner ces malades, non seulement contre la COVID‑19, mais aussi pour d’autres conditions nécessitant des soins hospitaliers. À leur refuser l’accès aux hôpitaux au prétexte qu’ils souffraient d’un trouble neurocognitif ou vivaient en maison de soins de longue durée. Si nous avons laissé les choses évoluer ainsi, c’est parce que la valeur que nous accordons à ces personnes n’a pas changé, ni d’ailleurs notre attitude à leur endroit.

Depuis le début de cette crise, nous avons fondé notre conduite sur un système de valeurs largement inconscient qui nous amène à croire que la vie des personnes âgées et fragiles vaut moins que celle des personnes jeunes et en bonne santé. Les maisons de soins et leurs pensionnaires auront ainsi servi de boucliers servant à protéger le reste du système de santé, les gouvernements et la société.

Ces personnes sont mortes pour nous protéger.

L’histoire ne peut pas se terminer ainsi. Il faut tirer des leçons de ce qui s’est passé. Il est possible de transformer la planification et la prestation des soins de longue durée. Tous les pays développés, dont le Canada, disposent des ressources nécessaires pour faire évoluer notre attitude envers les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et les pensionnaires des maisons de soins.

Le déploiement des vaccins apporte une lueur d’espoir en cette période sombre et contribuera à ce que les choses reviennent un jour à la normale. Mais cela ne réglera pas les problèmes de fond.

La pandémie de COVID-19 nous a appris que l’état normal des choses ne suffit pas pour les pensionnaires des maisons de soins. Nos valeurs et nos actions doivent se transformer. Le sacrifice ultime consenti par nos aînés durant cette crise doit servir à replacer au sommet des priorités la nécessité d’offrir des soins de grande qualité aux personnes qui souffrent d’un TNC majeur.

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Photo gracieuseté d’iStock

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