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« Ma guerre de Crimée » – Les gestionnaires de foyers de soins de longue durée sur la ligne de front de la pandémie

by Carole Estabrooks
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« Désespoir. » « Sentiment de culpabilité. » « Enfer. » « Traumatisant. » « Ce fut ma guerre de Crimée. »

C’est en ces termes que les gestionnaires de foyers de soins de longue durée décrivent les expériences qu’ils et elles ont vécues lors des premières vagues de la pandémie de COVID-19.

Comme Florence Nightingale et ses infirmières, qui devaient composer avec de piètres conditions sanitaires, des pénuries de matériel et un nombre écrasant de soldats blessés durant la guerre de Crimée dans les années 1850, les gestionnaires de foyers de soins de longue durée et leur personnel de première ligne ont travaillé sans relâche dans des conditions éprouvantes au cours des premiers mois de la pandémie afin de soigner et protéger les résidents et résidentes.

En dépit de leurs efforts, le virus s’est répandu dans nombre de foyers, rendant malades et tuant des milliers de pensionnaires et de membres du personnel. Les morts, les confinements, les graves pénuries de personnel et les charges de travail excessives causés par la COVID-19 ont eu de lourdes conséquences sur l’ensemble des effectifs du secteur des soins de longue durée, y compris sur les gestionnaires d’établissement et les directrices de soins infirmiers responsables du personnel de première ligne et de la qualité des services.

Deux études que j’ai publiées récemment avec des collègues révèlent que ces leaders sont exténués, au bord de l’épuisement professionnel, et envisagent même de quitter leur emploi ou leur profession. Nous n’avons pas les moyens de nous priver de leurs services.

Le manque de main-d’œuvre ne date pas d’hier dans les foyers de soins de longue durée et l’on sait que les gestionnaires et les directrices de soins influencent directement le roulement de personnel et la qualité des soins. Les responsables gouvernementaux et autres décisionnaires doivent comprendre que la pandémie a eu de graves répercussions sur ces personnes et adopter de nouvelles politiques et stratégies pour mieux les soutenir.

Dans le cadre de l’une de nos études, nous avons réalisé des entretiens avec 21 gestionnaires, dans huit foyers de soins de longue durée de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, de janvier à avril 2021. Les personnes rencontrées se sentaient responsables de protéger les pensionnaires, le personnel et leur propre famille contre la COVID-19 et ont été dévastées lorsque le virus a pénétré dans leur établissement. Une gestionnaire a comparé à un « coup de pied dans le ventre » son désespoir devant les pensionnaires et le personnel qui tombaient malades et mouraient de la COVID-19.

Les gestionnaires ont aussi mentionné avoir éprouvé des sentiments de tristesse et de culpabilité à l’égard des personnes âgées isolées de leur famille ainsi que des pensionnaires et des membres du personnel qui tombaient malades et, dans certains cas, décédaient de la COVID-19.

Les gestionnaires et directrices de soins ont été confrontés à une augmentation démesurée de la charge de travail en raison des avis de santé publique qui ne cessaient de changer, souvent à la dernière minute, et qui les obligeaient à instaurer de nouvelles mesures dans la précipitation. À cause de la pénurie de personnel, ils et elles devaient parfois prodiguer des soins de première ligne en plus de faire leurs tâches administratives. Plusieurs ont travaillé pendant des semaines sans un seul jour de congé.

Une directrice des soins infirmiers a décrit ainsi cette période : « J’ai probablement vécu la pire expérience depuis le début de ma carrière, il y a 40 ans. Certains matins, j’arrivais au travail et, au lieu des six préposés et deux infirmières auxiliaires prévus, il n’y avait que moi et deux préposés pour s’occuper des 34 patients malades de la COVID sur l’étage. C’était traumatisant! »

La seconde étude montre que les scores des gestionnaires par rapport à deux indicateurs de mesure importants, soit la qualité de vie au travail et la santé, se sont détériorés avec le temps. Pour cette étude, nous avons sondé 181 gestionnaires dans 27 foyers de soins de longue durée albertains, d’abord en février 2020, avant la pandémie, puis en décembre 2021, 21 mois après le début de celle-ci.

En comparant les résultats des deux sondages, nous avons constaté que plus le temps passait, plus la satisfaction au travail, la santé mentale et la conviction de bien faire son travail se dégradaient chez les gestionnaires. Parallèlement, leurs niveaux de fatigue et de cynisme augmentaient, ce qui faisait croître leurs risques d’épuisement professionnel.

Notons qu’avant la pandémie, ces indicateurs avaient été stables depuis plus d’une décennie.

En outre, les gestionnaires de foyer de soins de longue durée ont rapporté que leurs inquiétudes à propos de la santé mentale et du bien-être de leur personnel avaient constitué un immense fardeau et contribué à leur stress et leur épuisement.

Certaines personnes ont déclaré qu’elles envisageaient de démissionner ou de quitter le domaine des soins infirmiers, évoquant comme motifs la charge de travail excessive et le stress, le manque de soutien et de reconnaissance, un sentiment d’inefficacité et des problèmes personnels ou familiaux.

Les résultats de nos études brossent un portrait alarmant de la situation des gestionnaires, qui ont atteint leurs limites sur les plans émotionnel, mental et physique en tentant de répondre aux besoins et aux attentes des pensionnaires, des familles, de leurs supérieurs, du personnel, des organismes de réglementation et du public durant une période très chaotique.

Et ce n’est pas fini. Les pensionnaires et le personnel continuent de tomber malades de la COVID-19 et le manque de main-d’œuvre nuit toujours aux soins. La pandémie et ses répercussions n’ont pas disparu.

Compte tenu des graves pénuries de personnel et des autres problèmes qui persistent dans les foyers de soins de longue durée, les responsables gouvernementaux et les décisionnaires ne peuvent faire fi des résultats de ces deux études. Ils doivent agir dès maintenant pour régler les enjeux qui y sont soulevés et pour trouver des moyens de soutenir les gestionnaires et les directrices de soins de ces établissements.

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