Home Français Les modifications expéditives à la loi sur l’aide médicale à mourir vont à l’encontre des données probantes à cet égard

Les modifications expéditives à la loi sur l’aide médicale à mourir vont à l’encontre des données probantes à cet égard

by Harvey Chochinov
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Des modifications importantes à la loi sur l’aide médicale à mourir (AMM) sont en voie d’être adoptées avec une certaine précipitation au Parlement. Le projet de loi C‑7 marque en effet une rupture par rapport à la loi précédente : il abolit le délai de 10 jours entre l’approbation d’une demande et l’injection létale, supprime le critère de la mort « raisonnablement prévisible » pour les personnes en situation de handicap ou souffrant d’une maladie chronique et laisse tomber la nécessité de vérifier « l’aptitude » à consentir du patient ou de la patiente avant d’administrer l’AMM.

Cela signifie que l’AMM se traduira vraisemblablement par la mort de 4000 à 6000 personnes de plus chaque année au Canada. Celles‑ci ne seront pas des malades en phase terminale, mais plutôt des personnes en situation de handicap ou atteintes d’une maladie chronique, et parfois aussi de maladie mentale, qui seront amenées à choisir la mort parce qu’elles souffrent.

Parmi ces personnes, combien auraient opté pour la vie si elles avaient eu accès à des mesures d’adaptation, des spécialistes de la douleur, des professionnels des soins palliatifs, des psychiatres et des professionnels de la santé mentale, sans parler d’un logement stable et de la sécurité d’emploi?

Laissons de côté pour un instant les convictions et les plaidoyers passionnés. L’idée d’élargir l’AMM au moyen du projet de loi C‑7 va à l’encontre des données probantes, tout simplement.

En effet, la recherche indique que, dans un contexte de maladie en phase terminale, le désir de mourir évoluerait sensiblement dans le temps. Notre groupe de recherche est l’un des premiers à avoir étudié la volonté de vivre des malades dans cette situation; d’après nos observations, ce désir peut varier grandement, à des intervalles aussi brefs que 12 heures et 24 heures. Par ailleurs, nous savons qu’en Oregon, 20 % à 40 % des patients à qui l’on prescrit une injection mortelle selon les règles de la loi Death with Dignity en vigueur dans cet État, finissent par changer d’idée, préférant laisser la maladie suivre son cours naturel.

Le projet de loi C‑7 abolit le critère de mort raisonnablement prévisible et recommande une période d’évaluation de 90 jours. Par rapport à la population générale, le taux de suicide chez les patients est cinq fois supérieur dans le cas des lésions médullaires et de l’épilepsie; trois fois supérieur dans le cas des douleurs chroniques (selon des estimations conservatrices) et deux fois dans le cas des traumatismes crâniens. Nous savons en outre qu’à la suite d’un diagnostic de cancer aux conséquences majeures, les tendances suicidaires atteignent un sommet durant les trois premiers mois, et qu’au bout de quelques années les choses se stabilisent.

D’après les recherches, chez un grand nombre de ces patients, les idées noires découlent moins des limites physiques imposées par la maladie que d’autres facteurs : le manque de soutien, l’absence de perspectives d’emploi et de vie sociale, la pauvreté et le sentiment d’être un fardeau pour autrui.

Une étude de l’hôpital de Baltimore a suivi un groupe de 496 patients victimes d’un traumatisme crânien, d’un AVC ou d’une compression de la moelle épinière. On y apprend que 36 d’entre eux ont envisagé de se suicider ou tenté de le faire. Sur ce nombre, 22 ont fait l’objet d’évaluations de suivi sur une période allant de 3 à 24 mois; 16 souffraient de dépression. Parmi les six personnes qui n’étaient pas dépressives, cinq ont abandonné toute idée suicidaire. Dans 11 cas sur 16, les patients se sont rétablis moralement au point de ne plus avoir de tentations suicidaires.

Enfin, le projet de loi C‑7 abolira l’obligation de vérifier l’aptitude à consentir à l’AMM avant sa prestation. Cette disposition se rapproche de la politique en vigueur aux Pays-Bas, qui renferme une directive anticipée destinée aux personnes qui craignent de perdre leur pouvoir de décision.

Une étude néerlandaise a mené enquête auprès de la Dutch Association for Elderly Care Physicians. Sur les 434 médecins ayant répondu au questionnaire, seulement cinq ont rapporté avoir administré l’AMM à des personnes atteintes de démence; toutes les autres étaient aptes à donner leur libre consentement. Aucun médecin n’a indiqué avoir observé de directive anticipée dans le cas des personnes inaptes atteintes de démence.

En d’autres termes, la majorité des médecins étaient réticents à pratiquer l’euthanasie sur des patients qui n’étaient plus aptes à donner leur consentement ou même à confirmer qu’ils souffraient; de plus, les proches étaient hésitants pour la plupart à accepter la directive anticipée.

Au Canada, les personnes qui expriment une volonté de mourir peuvent simplement refuser les interventions de prévention du suicide (psychologiques ou médicales) et aller de l’avant avec l’AMM. Aux Pays-Bas, un médecin qui estime qu’il existe d’autres moyens d’alléger la souffrance d’une personne doit y recourir avant de donner accès au suicide assisté. Le Canada devrait se doter d’une loi semblable à la loi néerlandaise.

Malgré la volonté du gouvernement fédéral d’accélérer l’adoption du projet de loi C-7 et, par la même occasion, de hâter la prestation de l’AMM aux personnes qui envisagent la mort assistée, la ligne de conduite la plus prudente, si l’on se fie aux données probantes, consisterait à ralentir le processus.

Par conséquent, le gouvernement devrait retourner à sa planche à dessin pour le bien des Canadiens et des Canadiennes vulnérables. Car le projet de loi actuel comporte de graves lacunes.

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Photo gracieuseté d’iStock

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