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La dépression ment

by Harvey Chochinov

Quelques mois à peine après avoir été élu au Sénat américain, en février, John Fetterman a rejoint un programme de traitement contre la dépression. Lors d’une entrevue accordée le mois dernier sur les ondes de CBS News pendant l’émission Sunday Morning, le politicien de Pennsylvanie est revenu sur l’accident vasculaire cérébral dont il a été victime en mai 2022 ainsi que sur la course au sénat exténuante qui s’est ensuivie, laquelle a eu d’importantes répercussions sur sa santé mentale. « Oui, j’avais gagné, se souvient-il, mais la dépression peut tout à fait vous convaincre qu’en réalité, vous avez perdu. »

Pourquoi? Parce que la dépression ment.

La dépression vous dit que vous n’êtes pas assez bien. Elle vous murmure à l’oreille que vous êtes bourré de défauts, que vous n’êtes pas à la hauteur et que votre vie importe peu. Quand les choses vont particulièrement mal, elle vous semble crier ces mensonges sur tous les toits.

La dépression assujettit votre vie à une note de passage impossible à atteindre; elle finit inévitablement par vous dire que vous êtes en situation d’échec. Elle vous fait sentir que la personne que vous étiez jadis, ou plutôt celle que vous pensez devoir être, est brisée. Cette idée de « brisure » ou de « soi fracturé » montre de quelle manière la dépression tente de vous pousser à vous autodétruire et de vous convaincre que mettre fin à vos jours apparaît comme une issue. On tente d’éliminer ce qu’on déteste. Or, la dépression vous fait croire que votre vie est fracassée à tout jamais, et elle érige le suicide en solution pour détruire la personne que vous n’arrivez plus à endurer.

La dépression n’a que faire de la logique et elle ne crée pas d’attentes rationnelles. Je me souviens d’un médecin qui s’est ôté la vie après qu’un membre de sa fratrie soit décédé de la maladie précise dans laquelle il se spécialisait. Il ne fait aucun doute que la dépression l’avait convaincu qu’il aurait dû être en mesure de sauver cette personne. Et lui a réagi en détruisant celui qu’il considérait responsable de ne pas avoir fourni de remède. Le traumatisme provoqué par la perte d’un proche l’a confronté aux limites du possible, ce à quoi la dépression a répondu « tu aurais dû être capable d’en faire plus ».

Un traumatisme — qu’il soit de nature physique, émotionnelle ou spirituelle — a le potentiel d’anéantir votre sentiment de contrôle. Peu importe le type de traumatisme que vous avez vécu ou dont vous avez été témoin, il en résulte un risque de suicide accru.

Mais pourquoi donc?

Les victimes d’agressions physiques ou sexuelles découvrent qu’elles peuvent être vaincues, ce qui les fait se sentir faibles et fragiles. Celles qui sont confrontées à la violence conjugale ou à l’abus d’enfants découvrent que la cellule familiale n’est pas forcément garante de sécurité, ce qui les fait se sentir sans défense. Les personnes emprisonnées apprennent qu’elles ne peuvent pas reprendre leur liberté par un simple effort de volonté, ce qui les fait se sentir piégées. Les endeuillés découvrent que l’amour ne suffit pas à protéger ceux qu’ils aiment contre les ravages de la maladie ou les calamités, ce qui les fait se sentir désarmés. Et les personnes témoins d’un traumatisme apprennent que leur aversion et leur horreur sont insignifiantes, ce qui les relègue au rôle de spectateurs impuissants, à leurs yeux.

Les sentiments découlant d’un traumatisme tels que la fragilité, la faiblesse, la vulnérabilité, l’impuissance ou l’impression d’être pris au piège sont complètement incompatibles avec la personne que ces gens étaient ou cherchent à être. C’est ainsi qu’en tournant la rage vers l’intérieur, ils détruisent la personne qu’ils jugent brisée, fracturée, indigne de vivre.

La dépression tentera de vous convaincre que personne ne peut vous venir en aide, que ni les mots, ni les conseils, ni une quelconque prise de conscience ne seraient capables de desserrer l’emprise pathologique qu’elle a sur vous. Et essayer de vous conformer aux attentes impossibles de ce monstre psychologique ne vous libérera pas; cela ne fera que vous tourmenter davantage tandis que vous tenterez de rejoindre une ligne d’arrivée imaginaire se décalant à mesure que vous avancez. Une situation qui vous fera vous sentir inadéquat, bourré de défauts – en situation d’échec. Cela fait bien entendu le jeu de la dépression.

Comme tant d’autres personnes qui traversent une phase dépressive, je soupçonne que M. Fetterman émergera de cette expérience avec un sentiment d’humilité — une conscience aiguë des fautes et des limites qui sont les siennes.

Mais je vais vous dire la vérité. Soyez attentifs, car la dépression essayera de vous faire croire autre chose. Les défauts et les limites que vous percevez chez vous n’ont rien à voir avec un échec; ils ont tout à voir avec le fait d’être humain. Tous les humains sont vulnérables et mortels. Tous les humains trébuchent, luttent et sont un jour ou l’autre subjugués par des forces échappant à leur contrôle.

Tout le monde, sans exception, peut voir sa vision de soi fracturée et la vie nous donne parfois l’impression d’être brisés. Comme Leonard Cohen l’a jadis écrit, « il y a une fissure en toute chose. C’est ainsi qu’entre la lumière. » Cette lumière, c’est notre humanité glorieuse, fragile et collective.

La dépression ment sans cesse; elle veut dissimuler la vérité et aspire à vous laisser dépérir dans la noirceur.

Puisse la lumière entrer à nouveau.

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