Home Français Quand finirons-nous par comprendre que des changements s’imposent dans le secteur des soins de longue durée au Canada?

Quand finirons-nous par comprendre que des changements s’imposent dans le secteur des soins de longue durée au Canada?

by Trina Thorne
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Le Canada a consacré depuis deux décennies des millions de dollars à des rapports sur les soins de longue durée, et ces rapports en arrivent tous aux mêmes recommandations de base

Depuis le début de la pandémie, le Canada se démarque d’une bien triste façon. Les personnes âgées ont été durement touchées par la COVID-19 dans la plupart des pays, mais au Canada, 81 % de tous les décès survenus au cours des premiers mois de la pandémie ont eu lieu dans des établissements de soins de longue durée, ce qui est extrêmement élevé comparativement aux 42 % répertoriés dans les autres pays de l’OCDE. Selon une évaluation indépendante effectuée plus récemment, sur les 30 420 décès attribuables à la COVID-19 au Canada, 18 800 sont survenus dans 1 871 établissements d’hébergement (au 9 janvier 2022).

Pourquoi, au Canada, les personnes âgées vivant dans les établissements de soins de longue durée ont-elles été si durement touchées comparativement aux autres pays?

Les nombreux facteurs qui expliquent cet état de fait sont entre autres le manque de préparation en cas de pandémie, la diminution du nombre d’heures de soins quotidiens, l’insuffisance des ressources et du financement, une mauvaise gestion des inspections ainsi qu’une intégration inadéquate des services de santé et des soins hospitaliers. La plupart de ces problèmes existaient bien avant la pandémie. Les gouvernements fédéral et provinciaux sont au courant depuis des décennies des lacunes qui minent le secteur des soins de longue durée, mais ont fait peu de choses pour y remédier.

Dans une récente étude réalisée en collaboration avec des collègues et publiée dans la revue F1000 Research, nous faisons état de plus de 80 rapports préparés par des gouvernements, des syndicats, des organismes sans but lucratif et des associations professionnelles à qui l’on a demandé d’examiner la situation des soins de longue durée au Canada entre 1998 et 2020. La longueur des rapports varie entre quelques pages et près de 1 500 pages; la plupart d’entre eux décrivent les mêmes problèmes fondamentaux et réitèrent les mêmes recommandations.

Quand finirons-nous par comprendre que des changements s’imposent dans le secteur des soins de longue durée au Canada?

Dans le cadre de notre étude, nous avons pu constater que les recommandations formulées dans tous les rapports réalisés au cours des deux dernières décennies étaient cohérentes et fondées sur des données probantes, et qu’elles auraient sans doute permis de sauver bien des vies si elles avaient été mises en application avant la pandémie. C’est à cette inaction que l’on peut attribuer le grand nombre de décès survenus dans le sillage de la COVID-19 et la diminution de la qualité de vie dans les établissements de soins de longue durée.

Quelles sont les recommandations qui ont été formulées à maintes reprises et dont les gouvernements provinciaux et fédéraux successifs n’ont pas tenu compte?

Les trois principales recommandations qui ressortent à la lecture des rapports réalisés au cours des deux dernières décennies préconisent l’accroissement et la redistribution du financement afin de mieux adapter la dotation en personnel aux besoins et de fournir plus de soins directs à un plus grand nombre de personnes, l’uniformisation, la réglementation et la surveillance de la qualité des soins et, enfin, la refonte, l’uniformisation et la réglementation de la formation du personnel affecté aux soins de longue durée. Dans tous les rapports, on recommande l’amélioration de la formation du personnel, l’intensification des mesures de soutien comportemental et la modernisation des stratégies de prévention et de contrôle des infections.

Pourquoi ces plaidoyers répétés en faveur de l’apport de changements dans le secteur des soins de longue durée n’ont-ils pas été entendus? Les enjeux liés à la pénurie de personnel et au manque de formation ainsi que les répercussions négatives attribuables à l’existence des établissements privés de soins de longue durée sont mentionnés à de nombreuses reprises dans les rapports. Au cours des 20 dernières années, d’innombrables articles faisant état des conclusions de ces rapports sont parus dans les médias.

Au lendemain des premières vagues de la pandémie, certains changements ont été apportés dans les établissements de soins de longue durée. Dans plusieurs provinces, on a décrété une légère augmentation des salaires et offert plus de postes à temps plein afin de stabiliser la main-d’œuvre du secteur. En Ontario, on s’est engagé à fournir quatre heures de soins directs par jour à chaque bénéficiaire d’ici à 2024, ce qui représente 3,3 heures de plus que la moyenne nationale. Le rapport sur les soins de longue durée en établissement réalisé en Alberta (Facility Based Continuing Care Review) recommande, entre autres, 4,5 heures de soins, l’établissement d’une norme de base en matière d’emploi à temps plein et la mise en priorité de la qualité de vie des bénéficiaires. Au Québec, le rapport de la protectrice du citoyen recommande également de privilégier les emplois à temps plein afin d’adopter une formule d’équipes consacrées à une seule installation et de limiter le recours à la main-d’œuvre provenant d’agences extérieures.

Malgré le fait qu’un grand nombre de ces recommandations ont été formulées à de multiples reprises, de très graves lacunes en matière de prévention des infections ont été observées et certaines recommandations, comme celles portant sur les heures de soins, sont appliquées de façon différente d’un endroit à l’autre. Ces recommandations constituent d’importants pas dans la bonne direction, mais il faudra faire bien plus, en particulier au chapitre de la qualité de vie des bénéficiaires et des conditions de travail du personnel.

Il est fort probable que la mise en pratique des recommandations figurant dans les nouveaux rapports sur la pandémie améliorera grandement la situation, mais il demeure que si nous avions appliqué les recommandations qui avaient déjà été formulées, nous aurions obtenu de bien meilleurs résultats qu’en réalisant des enquêtes sur des constats connus de longue date. Si les recommandations récurrentes avaient été mises en œuvre, nous aurions sans doute amélioré les conditions de travail du personnel, la qualité des soins ainsi que la qualité de vie au sein des établissements de soins de longue durée au Canada. Nous aurions également pu éviter bien des morts inutiles causées par la COVID-19.

Nous devons maintenant essayer d’accroître le nombre d’heures de soins offertes, dans un contexte caractérisé par une pénurie de main-d’œuvre de plus en plus marquée à tous les niveaux d’emploi dans les établissements de soins de longue durée.

Il est temps de passer à l’action. Nos gouvernements doivent aller de l’avant et établir un ordre de priorité dans la mise en œuvre des recommandations, qui ne peuvent pas toutes être appliquées simultanément. Ils doivent entreprendre la difficile tâche consistant à déterminer la bonne marche à suivre pour mettre en pratique les recommandations, à trouver le personnel dont les établissements ont besoin et à procéder aux évaluations nécessaires. Ce processus doit englober, d’une part, l’identification des secteurs où le manque de connaissances rend toute prise de décision cohérente impossible et qui sont trop importants pour qu’on omette d’en tenir compte, et, d’autre part, l’obtention des ressources devant être attribuées dans ces secteurs.

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Photo publiée avec l’aimable autorisation d’iStock

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