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Le régime public d’assurance-maladie passe en jugement une seconde fois

by Colleen Flood
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La procédure d’appel qui devrait débuter ce mois-ci marque la dernière manche de l’affaire Cambie Surgeries Corporation v. British Columbia, une bataille juridique engagée il y a 10 ans pour faire casser les lois limitant l’établissement d’un système de santé à deux vitesses. Cette contestation intentée par le Dr Brian Day, chirurgien orthopédiste et propriétaire d’une clinique privée, a reçu un coup dur en septembre dernier, lorsque la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une décision de 883 pages rejetant systématiquement les arguments selon lesquels les lois de la Colombie-Britannique enfreignent la Charte canadienne.

Il y a beaucoup d’argent à faire dans l’expansion de la médecine à but lucratif, et il ne serait pas surprenant que cette affaire finisse par se retrouver devant la Cour suprême du Canada.

Comme argument central, Cambie maintient que la longueur des temps d’attente au sein du système de santé public porte atteinte au droit de chacun « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », droit qui est garanti par l’article 7 de la Charte. Cambie demande que la Cour remédie au problème, non pas en réglant la question des temps d’attente pour tous, mais en permettant aux médecins qui participent au régime public d’assurance-maladie de vendre également leurs services aux patients qui sont prêts à payer pour des soins plus rapides, soit de leur poche, soit par l’intermédiaire d’une assurance-maladie privée. Ce que beaucoup craignent, y compris de nombreux économistes de la santé et chercheurs en services de santé de premier plan, est que les fournisseurs de soins de santé accordent la priorité aux patients plus lucratifs du secteur privé, au détriment des patients du système public. Bien entendu, une telle décision minerait aussi l’engagement égalitaire de la Loi canadienne sur la santé.

La Cour suprême du Canada a tranché une question connexe dans l’arrêt Chaoulli c. Québec en 2005. Dans cette affaire, une faible majorité de juges a constaté que, compte tenu des longs temps d’attente de son système de santé public, le Québec enfreignait le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne en interdisant la souscription d’une assurance maladie privée parallèle. L’arrêt Chaoulli étant fondé sur la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, et non sur la Charte canadienne, son application dans les autres provinces reste indéterminée. L’affaire Cambie vise à étendre considérablement la portée de l’arrêt Chaoulli, non seulement en dehors du Québec, mais jusqu’à la Colombie-Britannique et peut-être à toutes les autres provinces.

Cependant, l’application du précédent Chaoulli à d’autres provinces n’est pas si simple. D’une part, chaque province emploie une approche unique pour limiter les soins offerts dans son secteur privé. Dans l’arrêt Chaoulli, les appelants visaient seulement à faire rejeter l’interdiction de souscrire une assurance maladie privée parallèle au Québec, tandis que dans l’affaire Cambie, les demandeurs cherchent à renverser un plus large éventail de lois de la Colombie-Britannique : l’interdiction de facturer dans le privé des montants qui dépassent les tarifs prescrits par le régime public, l’interdiction aux médecins de participer simultanément aux régimes public et privé, et l’interdiction de souscrire une assurance-maladie privée pour des services médicaux nécessaires.

D’autre part, il faudra également établir que la manière dont la Colombie-Britannique réglemente les soins de santé privés est la cause des temps d’attente déraisonnables que connaît la province et qui menacent le droit à la sécurité de la personne, c’est-à-dire des patients. Pour répondre à cette question, les tribunaux ont examiné des preuves provenant d’autres pays dotés de systèmes de santé universels en tâchant de discerner les conséquences qu’il y a à autoriser les soins à deux vitesses.

Ce sont donc des questions exceptionnellement complexes et tentaculaires à trancher. En effet, de l’avis de nombreux constitutionalistes éminents, les tribunaux (étant donné leurs compétences et leur capacité de recherche limitées) devraient être très réticents à ébranler l’architecture du régime public d’assurance-maladie. L’arrêt Chaoulli se range parmi les décisions les plus controversées de la Cour suprême à ce jour, de nombreux commentateurs le dénonçant comme un cas flagrant de dépassement du pouvoir judiciaire.

Il se trouve que le droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne » qui est prévu à l’article 7 de la Charte contient sa propre disposition limitative interne : les atteintes à ce droit sont autorisées, pourvu que l’on n’enfreigne pas les « principes de justice fondamentale ». C’est sur ce point que l’affaire Cambie a rencontré un écueil.

Dans le jugement prononcé l’automne dernier, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a entendu les témoignages de plus de 100 personnes, dont 37 témoins experts, et beaucoup d’entre elles ont exprimé de sérieuses inquiétudes quant aux effets néfastes que la libéralisation des soins financés par le secteur privé pourrait avoir sur le système public. En appréciant la preuve, la Cour a acquis la conviction que les restrictions de la province à l’endroit des soins de santé à deux vitesses ont un fondement rationnel et ne contreviennent pas aux principes de justice fondamentale.

Les Canadiens devraient surveiller de près l’appel Cambie. Un principe important et respecté y est directement en cause : les soins médicaux nécessaires devraient être fournis en fonction des besoins au point de vue médical et non en fonction de la capacité de payer. De façon plus générale, l’affaire pose également la question de savoir comment concilier les droits individuels et les politiques publiques (souvent imparfaites) qui visent à protéger et à promouvoir la santé de tous.

Tout au long de la pandémie de COVID-19, certains ont invoqué les droits et libertés de la personne pour passer outre aux ordonnances concernant le port du masque, aux règles de confinement et aux exigences de vaccination. Dans l’ensemble, l’affaire Cambie traite d’une question vitale et profonde, soit la manière dont les droits individuels coexistent avec l’action collective fondée sur des données probantes dans les questions complexes de politique publique. En définitive, il s’agit de savoir si ce sont les tribunaux ou le Parlement qui devraient en décider.

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Photo gracieuseté d’iStock

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