Home Français Le personnel des maisons de soins infirmiers connaît des niveaux catastrophiques d’épuisement et de traumatisme

Le personnel des maisons de soins infirmiers connaît des niveaux catastrophiques d’épuisement et de traumatisme

by Carole Estabrooks
estabrooks-song-nursing-home-workers-at-catastrophic-levels-of-burnout-and-trauma
This content was published more than two years ago. Some information may no longer be current.

Cela fera bientôt un an que les travailleuses et travailleurs des maisons de soins infirmiers combattent la COVID‑19 sur la ligne de front — une année de terribles traumatismes.

Ils et elles ont vu des personnes âgées souffrir dans la peur et la solitude durant les confinements. Vu des pensionnaires tomber tragiquement malades et mourir en trop grand nombre : plus de 19 000 personnes âgées ont succombé à la COVID-19 au Canada, la majorité dans des maisons de soins de longue durée; plus de 17 000 avaient plus de 60 ans. Ils et elles ont vu les corps, trop de corps.

Ils et elles ont répondu aux appels et aux supplications de membres de la famille affolés, séparés d’un proche pendant de longues périodes ou pleurant la perte d’un être cher. Ils et elles ont vu des collègues contracter le virus mortel, souffrir de symptômes durables ou mourir tragiquement, certains trop tôt pour leur âge dans bien des cas. Au moins 33 travailleurs de la santé sont morts de la COVID-19 au Canada, dont un grand nombre d’employés d’établissements de soins de longue durée – le plus jeune, un préposé à l’entretien, n’avait que 19 ans.

Ces soignants et soignantes ont traversé des nuits d’insomnie et d’anxiété, certains s’étant isolés de leur milieu familial pendant de longues périodes par crainte de transmettre le virus à leurs proches. Ils et elles ont travaillé de longs quarts de service, mal payés, obligés de composer avec le manque de personnel et les heures supplémentaires; trop peu nombreux pour être en mesure d’accomplir correctement toutes les tâches nécessaires au maintien d’êtres humains vulnérables.

Et pourtant, ils et elles ont vu des gens les tenir responsables des tragédies ayant frappé nos aînés. Tandis qu’on applaudissait les médecins et les infirmières dans les hôpitaux, certains les ont montrés du doigt.

Il n’est donc pas étonnant de constater des niveaux d’épuisement et de traumatisme catastrophiques chez le personnel des maisons de soins. En dépit de cela, nos gouvernements ont largement échoué à prendre des mesures pour assurer leur sécurité et celle de nos aînés vulnérables. Comment en est-on arrivé là?

Nous avons toujours sous-estimé la valeur du personnel des soins de longue durée. Les aide-soignantes et aide-soignants, ou préposés aux services de soutien à la personne, constituent l’effectif le plus important du secteur des soins de longue durée au Canada : plus de 90 % des soins directs leur sont confiés. Leur travail est indispensable au maintien de la qualité des soins et de la qualité de vie des personnes hébergées en maison de soins infirmiers.

Dans un article paru en décembre dans le le JAMA Network OPEN, notre équipe a publié des données recueillies dans le cadre du projet Translating Research in Elder Care (TREC), auprès de 90 centres de soins de longue durée en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba et en Saskatchewan. D’après nos observations, le personnel aide-soignant est une main-d’œuvre négligée et désavantagée sur le plan socioéconomique, mais une source indispensable de soutien affectif et social auprès des pensionnaires. Colligées de septembre 2019 à février 2020 – c’est-à-dire avant les horreurs de la pandémie –, nos données confirment que le personnel aide-soignant portait déjà un lourd fardeau.

La majorité de ses membres sont des femmes d’âge moyen ou âgées qui ont l’anglais comme langue seconde. Elles évoluent dans un milieu aux ressources limitées. Plus de 70 % d’entre elles montrent un risque d’épuisement affectif allant de modéré à élevé. Par ailleurs, elles rapportent devoir fréquemment omettre des tâches essentielles ou les accomplir à la hâte. La moitié indiquent avoir dû composer, au cours du dernier mois, avec un manque de personnel sur une base quotidienne ou hebdomadaire. Parmi les tâches négligées en raison du manque de temps durant des quarts de travail récents, figurent des activités comme faire marcher les pensionnaires (41 %); converser avec eux (34 %); les aider à se brosser les dents (16 %), à aller aux toilettes (10 %), à prendre un bain (9 %) et à se nourrir (6 %).

Telle était la situation avant la COVID-19.

Imaginez maintenant ces mêmes personnes, dont la plupart sont déjà à deux doigts de l’épuisement professionnel et de la détresse psychologique, obligées de tenir le fort presque à bout de bras durant une pandémie qui a balayé impitoyablement les maisons de soins infirmiers. Ce sont des guerriers et des guerrières sans témoin.

Bien avant la pandémie, le secteur des soins de longue durée connaissait partout au pays une pénurie de main-d’œuvre, qui atteint aujourd’hui des proportions catastrophiques. Doit-on s’en étonner?

Les gouvernements et les exploitants se sont enfin attachés à mettre au point des solutions créatives – bien que des années trop tard, et à la pièce. En Colombie-Britannique, une maison a proposé de payer les proches qui dispensent des soins. En Ontario et au Québec, on a créé un nouveau rôle de soutien, assorti d’une formation gratuite, dans l’espoir que des étudiants et des personnes sans emploi se portent candidats. Des établissements postsecondaires offrent un certificat de formation accélérée. Et plusieurs provinces ont établi un supplément de salaire.

Le temps est venu pour le fédéral de faire preuve de vrai leadership dans ce dossier. Vieillir, devenir infirme ou sombrer dans la démence ne signifie pas que nous perdons de la valeur comme citoyen canadien ou être humain ni que nous ne méritons pas une bonne fin de vie, vécue dans la dignité, à l’abri de la peur. Si le premier ministre Justin Trudeau veut léguer un héritage durable, c’est par là qu’il devrait commencer.

Read in English

Photo gracieuseté d’istock

Print Friendly, PDF & Email
Creative Commons License
This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NoDerivatives 4.0 International License.

This means that you are free to reprint this article for any non-profit or for-profit purpose, so long as no changes are made, and proper attribution is provided. Note: Only text is covered by the Creative Commons license; images are not included. Please credit the authors and QUOI Media Group when you reprint this content. And if you let us know that you’ve used it, we’ll happily share it widely on our social media channels: quoi@quoimedia.com.

You may also like