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La prestation d’invalidité canadienne est trop importante pour la laisser entre les seules mains du gouvernement

by Jane Melville Whyte
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Vivre avec un handicap ne devrait pas être synonyme de vivre dans la pauvreté. Malheureusement, il s’agit d’une réalité pour un trop grand nombre de personnes handicapées au Canada. J’en sais quelque chose, puisque je suis aux prises avec des problèmes de santé mentale depuis plusieurs années. Bien que j’aie pu travailler pendant certaines périodes, j’ai aussi fait de longs séjours à l’hôpital et j’ai dû compter sur des prestations du gouvernement pour me nourrir, me loger et survivre. Lorsque j’allais assez bien, j’occupais des emplois occasionnels peu rémunérateurs, et je comptais sur les dons de mes amis pendant les périodes difficiles.

Cependant, les personnes en situation de handicap devraient faire bien plus que « se contenter de survivre ». Nous voulons contribuer en tant que membres créatifs et bienveillants de la collectivité.

Dans le budget du gouvernement fédéral de 2021, on a annoncé des consultations en vue de la création d’une nouvelle prestation d’invalidité canadienne qui permettrait aux personnes handicapées d’avoir un revenu de baseLe mois dernier, le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi visant à créer une prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap.

Voilà qui est tout à fait nouveau, finalement, et qui mérite d’être célébré. Mais le plus dur reste à faire : concrétiser le projet. Les personnes qui vivent avec un handicap devraient être recrutées pour travailler avec le gouvernement à toutes les étapes de la création de cette nouvelle prestation pour que cette mesure aide vraiment les personnes visées. Le slogan populaire « Rien sur nous sans nous » ne parle pas uniquement de participer au projet, mais de créer la meilleure prestation possible.

Les personnes qui vivent en situation de handicap et de pauvreté apportent des points de vue essentiels à la planification. Nos points de vue sont uniques. Une expérience vécue il y a plusieurs années me rappelle à quel point il est facile pour les personnes qui n’ont jamais connu la pauvreté d’ignorer cette présence douloureuse et constante chaque fois qu’il s’agit de prendre une décision et de poser un geste.

En 1993, après avoir fait plusieurs séjours à l’hôpital et vécu un divorce, je dépendais de prestations pour survivre. Je recevais en tout 864 $ par mois pour le loyer et mes dépenses courantes. Un lit dans un hôpital psychiatrique coûtait (à l’époque) environ 1000 dollars par jour. Chaque jour que je passais en dehors de l’hôpital faisait donc épargner de l’argent au gouvernement, mais me laissait dans un état de pauvreté qui ne me permettait pas d’avoir un mode de vie sain.

En 1994, le Comité sénatorial avait commencé ses audiences en vue de changer le Régime d’assistance publique du Canada, ce système de partage des coûts pour les programmes sociaux aujourd’hui aboli. Deux organisations nationales œuvrant en santé mentale m’ont demandé, en tant que bénéficiaire de l’aide sociale, de faire leur présentation. Mais, contrairement à ce qui était prévu, après mon vol de Regina à Winnipeg, je n’ai pas pu prendre la correspondance pour Ottawa. Le Comité sénatorial a donc attendu jusqu’à 21 h 30 pour m’entendre.

Avant de commencer mon discours soigneusement rédigé, je me suis excusée en disant : « Il ne m’était même pas venu à l’esprit de me rendre sur place une journée plus tôt, car la chambre d’hôtel coûte plus cher par nuit que ce que mon budget me permet de dépenser pendant un mois complet pour me nourrir et subvenir à mes autres besoins, une fois mon loyer payé. »

Un sénateur m’a demandé : « Je n’ai pas pensé du tout au coût de l’hôtel…un mois complet? » « Oui, ai-je répondu, pour la nourriture, le dentifrice, les loisirs, le transport, les cadeaux pour ma famille… ». Il m’a serré la main et a secoué la tête, et je suis allée dans ma luxueuse (enfin, pour moi) chambre d’hôtel prépayée pour la nuit.

Dix ans plus tard, j’ai eu des emplois occasionnels dans des organismes sans but lucratif, où je ne gagnais jamais assez pour devoir payer de l’impôt sur le revenu; il était donc inutile de demander le crédit d’impôt pour personnes handicapées, une aide non remboursable offerte par le fédéral. Lors d’une autre réunion nationale de planification, je me suis rendu compte de la grande différence entre les revenus des participants quand ma nouvelle amie a dit, tout en prenant un verre de vin, « Quand j’étais sous-ministre… ». J’ai apprécié son expérience en tant que personne ayant une maladie mentale et au fait des processus gouvernementaux. Cependant, je ne suis pas sûre qu’elle ait trouvé très utile mon expérience de la pauvreté lors de la séance de remue-méninges sur les systèmes de soutien.

En 2014, les dépenses pour assister à la conférence sur la santé mentale avaient été payées par les organisations qui m’avaient invitée à y participer : 400 $ en billets d’avion, 800 $ pour quatre nuits à l’hôtel, plus les repas et les taxis.Ces cinq jours de conférence ont coûté plus cher que ce que je recevais en prestations pour le mois. Certains participants étaient des professeurs d’université; ils n’étaient pas « riches », mais pas pauvres non plus. D’autres participants à la conférence vivaient dans une extrême pauvreté en raison d’un handicap ou parce qu’ils étaient au chômage ou sous-employés. Ceux-là étaient reconnaissants du repas qu’ils avaient eu au dîner, car ce serait le seul qu’ils prendraient ce jour-là, inquiets à l’idée de perdre leur logement s’ils étaient incapables de travailler encore un autre mois en raison de leur état dépressif. Ensemble, nous avons décrit l’incapacité des services communautaires à répondre aux besoins des personnes en situation de handicap.

Les personnes handicapées vivant dans la pauvreté offrent un point de vue essentiel lorsqu’il s’agit de planifier des programmes sociaux et un soutien du revenu. Nous devrions collaborer avec le gouvernement à chaque étape de la planification et de la prestation de ces programmes. Toute solution doit passer par la participation des personnes qui sont les plus touchées, c’est-à-dire la population visée par le programme.

La prestation d’invalidité canadienne est trop importante pour la laisser entre les seules mains du gouvernement.

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Photo gracieuseté d’iStock

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