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Augmenter les dépenses en santé ne garantit en rien une amélioration des résultats

by Michael Wolfson
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À peine les résultats de l’élection fédérale étaient-ils comptabilisés que les premiers ministres provinciaux reprenaient leur refrain usé sur la nécessité d’accroître les transferts en santé. Au lieu de remercier Ottawa pour les milliards déjà versés dans la lutte contre la COVID‑19 ou de solliciter une aide à court terme motivée par la pandémie, ils ont refait chorus pour exiger des montants qui continueront sans cesse d’augmenter au cours des décennies à venir.

Je vous l’accorde, la nécessité d’injecter davantage d’argent dans les soins de santé paraît assurément urgente en ce moment. Les services de soins intensifs sont proches de l’effondrement en Alberta et en Saskatchewan, où les responsables de la santé se préparent à prendre des décisions douloureuses sur le triage des patients face au déferlement de cas de COVID‑19. Un certain nombre de provinces ont même de la difficulté à recruter de la main-d’œuvre pour leurs hôpitaux, vu les conditions propices à l’épuisement professionnel dans lesquelles travaille depuis près de deux ans leur personnel de première ligne.

Toutefois, les milliards de dollars revendiqués par les premiers ministres devraient selon eux être octroyés sans condition et à long terme, demande qui dépasse largement le cadre de la crise actuelle. Par contre, ils ne précisent pas comment cet argent frais serait dépensé. Or il serait parfaitement raisonnable de leur demander des explications – notamment parce que le fait d’injecter davantage d’argent dans le système ne se traduit pas automatiquement par une amélioration des résultats en matière de santé.

Dans une étude récente, Benjamin Tal et Andrew Grantham, économistes à la Banque CIBC, rapportent qu’au début de 2021, les hospitalisations par million d’habitants liées à la COVID‑19 étaient quatre fois plus nombreuses aux États-Unis qu’au Canada et cinq fois plus en Grande-Bretagne. Ils écrivent : « Pourtant, tous se rappelleront certainement que durant la seconde vague, le système hospitalier canadien était à bout de souffle. Autrement dit, il avait atteint sa pleine capacité, mais à des niveaux que de nombreux autres pays considèrent comme acceptables ». Leur conclusion : les hôpitaux canadiens ont besoin de plus d’argent.

Or ce n’est là qu’une partie de l’histoire. Les États-Unis sont bien connus pour dépenser bien davantage que n’importe quel autre pays en matière de santé, alors que le Royaume-Uni et Israël y consacrent des montants nettement inférieurs à ceux du Canada – pourtant, ni l’un ni l’autre n’a été proche d’atteindre le point de saturation dans les hôpitaux. Le problème, dans ce cas, ne peut pas être réduit à un manque de financement : la manière dont nos dollars sont dépensés dans le secteur doit aussi faire partie du débat.

L’une des raisons pour lesquelles les gouvernements provinciaux préfèrent talonner Ottawa, plutôt que de s’employer à utiliser plus efficacement les fonds qu’ils reçoivent déjà, est qu’il est plus facile de refiler la facture à autrui. Tout comme l’a formulé l’économiste Bob Evans, « chaque dépense en santé correspond au salaire de quelqu’un » – ce qui signifie que toute tentative de contenir ou de réduire les coûts de la santé revient à contenir ou à réduire le salaire des médecins et des infirmières, le budget des hôpitaux et les profits des sociétés pharmaceutiques. D’un point de vue politique, il est donc beaucoup simple pour les provinces de demander plus d’argent que d’entrer en conflit avec des intérêts aussi concentrés et puissants.

Mais il y a aussi une autre raison, plus profonde celle-là. Les provinces tout comme le fédéral ne disposent peut‑être tout simplement pas des données nécessaires pour évaluer rigoureusement leurs dépenses en matière de santé même si telle était leur volonté. Et s’ils ont des données en main, ils ne dévoilent certainement pas leurs évaluations au grand jour.

Cet état de fait n’est pas fortuit. En effet, les leaders les plus avisés au sein des principales parties intéressées n’ont aucun intérêt à ce que ces données existent, car ils pourraient craindre qu’elles conduisent à des résultats embarrassants, susceptibles de dresser l’opinion publique contre eux, ce qui pourrait en retour se traduire par des mesures qui réduiraient leurs salaires ou leur autonomie.

Depuis des décennies, certaines des données les plus importantes sur le gaspillage et l’inefficacité dans le secteur de la santé concernent les variations entre régions géographiques – le phénomène « code postal » en médecine. Selon le Dartmouth Atlas of Health Care, qui étudie ces écarts sur une base continue, même si les montants alloués à la santé sont deux à trois plus élevés dans certaines régions, aucune corrélation ne peut être établie avec des indicateurs de santé clés comme les soins primaires aux personnes diabétiques et les complications postopératoires.

Dans une étude récente, de grands économistes de la santé américains arrivent à la conclusion que ces variations ne sont pas attribuables aux différences observées entre les besoins des patients. Elles seraient plutôt associées très étroitement à des croyances entretenues par les médecins « qui ne reposent sur aucune preuve clinique ». Les exemples concrets relevés les amènent à conclure que les dépenses en soins de santé ne seraient pas justifiées dans 12 % à 35 % des cas.

Au Canada, nous sommes fiers, et avec raison, du fait que notre système de santé est loin de coûter aussi cher ou d’être aussi inéquitable que celui des États-Unis. Or nous ne sommes pas à l’abri des dérives. Une étude décennale sur le traitement de l’infarctus du myocarde au Canada révèle en effet une variation pouvant aller du simple au triple selon les régions, sans effet sur la mortalité dans les 30 jours suivant l’intervention.

Malheureusement, personne n’a pu mettre à jour ou prolonger cette étude, notamment parce qu’on ne dispose tout simplement pas des données nécessaires pour le faire. Pourtant, si nous étions mieux informés, les fonds investis dans la santé pourraient être dépensés plus judicieusement.

Avant que le gouvernement fédéral ne remette aux provinces d’autres chèques de plusieurs milliards de dollars sans condition, la population canadienne a le droit de connaître les raisons qui motivent un nouvel investissement dans les soins de santé et de savoir non seulement comment ces fonds seront dépensés, mais surtout, après tout ce temps, si leur argent a servi à bon escient.

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Photo reproduite avec l’aimable autorisation d’iStock

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