Ce mois-ci, 1 000 membres des Forces armées canadiennes (FAC) prennent part au plus grand exercice militaire de l’OTAN tenu depuis la fin de la Guerre froide. Cet exercice de grande envergure, auquel participeront 90 000 militaires de 31 pays et qui durera quatre mois, est tenu en raison de l’inquiétude croissante selon laquelle un conflit armé entre l’OTAN et la Russie est de plus en plus probable.
La stratégie de la Russie consistant à gagner du territoire en menant des guerres d’usure a, malgré un coût élevé, été rentable au cours des deux dernières décennies. Alors que le soutien de l’Ukraine par les États-Unis vacille et qu’il est possible que Donald Trump, qui a déclaré que les États-Unis n’aideront pas leurs alliés si ceux‑ci sont envahis, soit élu président, les alliés de l’OTAN sont confrontés à la réelle possibilité de devoir se défendre contre la Russie sans que les États‑Unis interviennent militairement.
Pour les FAC, l’exercice de l’OTAN mettra l’accent sur la logistique militaire et la coordination. Les dirigeants canadiens ne devraient toutefois pas négliger un autre aspect crucial, bien que surprenant, des mesures de préparation : une « approche tous risques » de l’amélioration de la résilience du système de santé du Canada.
Il est depuis longtemps reconnu que le maintien de la santé des forces combattantes est essentiel au succès sur le champ de bataille. Comme chacun des pays membres de l’OTAN, exception faite des États‑Unis, le Canada dépend du système de soins de santé civil, en particulier en ce qui concerne tous les niveaux des services hospitaliers, des services de spécialistes et de diagnostic et de la réadaptation à long terme hors du contexte des déploiements. Il est donc logique que, en cas de guerre, le système de santé du Canada soit prêt à soutenir les besoins des FAC en matière de soins de santé.
Il existe toutefois une autre raison de s’inquiéter du système de soins de santé du Canada au moment où les relations avec la Russie s’enveniment, car la Russie a fait de l’attaque des systèmes de soins de santé civils de ses adversaires sa marque de commerce.
La Russie a bombardé plus de 200 hôpitaux en Syrie et plus de 600 cliniques et installations de soins de santé en Ukraine. Bien que ces bombardements aient fait les grands titres de l’actualité dans le monde entier, la Russie a exécuté de nombreuses autres attaques plus discrètes et incontestablement plus destructrices dans ces pays et dans d’autres; mentionnons notamment les attaques visant les travailleurs et travailleuses de la santé, les chaînes d’approvisionnement en fournitures médicales et le transport des patients ainsi que les cyberattaques visant les systèmes d’information en matière de santé.
La Russie entend, par ces attaques, non seulement dégrader les capacités de combat de ses adversaires mais également infliger de grandes souffrances à la population civile, la démoraliser et l’humilier, provoquer des déplacements de masse et lui faire perdre les ressources matérielles et le moral dont elle a besoin pour poursuivre le combat.
Les pays membres de l’OTAN devraient s’attendre à ce que la Russie continue de la sorte et ils devraient prendre des mesures pour préparer leurs systèmes de santé respectifs à des attaques de grande et de faible envergure.
Le système de soins de santé du Canada, déjà aux prises avec des pénuries de personnel, des cliniques surchargées et des retards touchant les soins dispensés dans la foulée de la crise de la COVID‑19, peut être particulièrement vulnérableaux perturbations. De plus, étant donné la nature décentralisée du système de santé, puisque chaque province et territoire gère et finance le système de santé qui est le sien, il est difficile d’obtenir une planification unifiée et une action collective. Il existe néanmoins de multiples mesures que le gouvernement du Canada peut prendre à cet égard.
Une possibilité, c’est que les bureaux de gestion des urgences et de la sécurité publique du Canada soient à la tête des efforts visant à amener les dirigeants des FAC et des systèmes de santé des provinces et des territoires à s’attaquer ensemble à deux enjeux cruciaux. Le premier consiste à élaborer les processus et les procédures par lesquels le personnel des FAC blessé, déployé en Lettonie ou dans d’autres pays européens de l’OTAN, sera évacué et soigné.
Comment ce processus sera‑t‑il modulé si le nombre des blessés augmente? Comment cela sera‑t‑il coordonné avec les mesures prises par d’autres pays alliés? Comment sera‑t‑il rendu résistant aux efforts délibérés visant à le perturber? Ces processus peuvent s’inspirer de l’expérience des FAC concernant les premiers soins en situation de combat dispensés aux soldats blessés en Afghanistan, mais, également, prévoir des nombres plus élevés de blessés, en moins de temps, au cours d’une guerre entre l’OTAN et la Russie.
En second lieu, le groupe de gestion des urgences du Canada devrait entreprendre une analyse globale des vulnérabilités du système de santé canadien afin de générer des stratégies d’atténuation partant d’une « approche tous risques ». Cette stratégie de gestion des crises en matière de santé, qui doit inclure un cadre qui peut s’adapter à l’arrivée d’un très grand nombre de blessés provenant de l’étranger, serait avantageuse pour l’ensemble du système de santé canadien et elle peut aussi s’appliquer à d’autres situations de coopération civilo‑militaire dans des catastrophes naturelles.
Il y a quatre enjeux à examiner : 1) les rôles et les responsabilités de différents organismes dans les situations d’urgence, 2) un financement du système de santé souple et modulable, 2) la capacité de mobilisation des travailleurs et des travailleuses de la santé, 3) la sécurité de l’information relative à la santé et aux situations d’urgence et 4) la résilience des chaînes d’approvisionnement et du réseau de transport des patients.
Nous vivons à une époque de crises — qu’il s’agisse des chocs climatiques, de la crise des réfugiés, de pandémies ou de cyberattaques. Le renforcement du système de santé du Canada, pour qu’il soit plus souple et plus résilient, est un bon investissement à long terme de même qu’un impératif immédiat.
Photo gracieuseté de DepositPhoto