La décarbonisation du secteur des transports ne devrait laisser personne de côté
Selon le gouvernement du Canada, le secteur de l’énergie est responsable de 82 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays, dont 78 % sont attribuables à la combustion des combustibles fossiles. Un tiers environ des émissions totales d’énergie provient du secteur des transports, en particulier du transport individuel. Ces résultats s’expliquent « en grande partie par une augmentation de la conduite de véhicules ».
Le secteur des transports est le seul secteur au Canada pour lequel on a observé une hausse nette des émissions des GES entre 2005 et 2022.
La décarbonisation du secteur des transports est l’un des efforts les plus importants et les plus difficiles à mettre en œuvre pour assurer un avenir durable à toute la population canadienne. Pour y parvenir, nous devons nous éloigner des modèles de transport axés sur la voiture et nous concentrer sur les transports en commun et le vélo, qui ont une empreinte carbone beaucoup plus faible et représentent des politiques plus inclusives.
Les gouvernements du Canada et du Québec ont fait jusqu’à présent des véhicules électriques (VE) l’une des principales solutions pour réduire les émissions et lutter contre le changement climatique; ils ont mis en œuvre un nombre croissant de mesures pour encourager la transition vers les VE.
Du point de vue de la demande, il existe plusieurs encouragements à acheter des VE, y compris l’Incitatif fédéral pour les véhicules zéro émission (iZEV). Certaines provinces offrent des remboursements pour l’achat de vélos électriques (le Québec, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, l’Î.-P.-É.), mais le gouvernement fédéral n’a pas de programme d’encouragement à l’achat de vélos électriques ou conventionnels.
Du point de vue de l’offre, le gouvernement fédéral versa 28,2 milliards de dollars en subventions aux usines de batteries pour VE à Windsor et à St. Thomas, ainsi que 5 milliards de dollars (conjointement avec l’Ontario) à des usines de VE de Honda. Le gouvernement fédéral finance également l’installation de bornes de recharge partout au pays.
Comparons cela aux 400 millions de dollars du Fonds fédéral pour les transports actifs (FTA) qui sont répartis sur cinq ans pour soutenir l’expansion et l’amélioration des infrastructures de transport actif et un transfert modal vers d’autres modes de transport que la voiture. Le transport actif obtient à lui seul environ un pour cent de l’investissement dans la production de batteries pour véhicules électriques, sans même tenir compte des investissements dans l’infrastructure routière proprement dite.
Une étude des déplacements entre le domicile et le lieu de travail a établi que plus d’un million de Canadiennes et de Canadiens vivent en situation de pauvreté en matière de mobilité, que l’on définit comme une mobilité limitée conjuguée avec un désavantage socioéconomique. Une étude portant sur d’autres déplacements liés aux besoins fondamentaux, tels que l’éducation, les soins de santé et l’épicerie, laisse entendre que ce nombre est beaucoup plus élevé.
Les VE sont encore plus chers que les voitures à essence, lesquelles sont déjà inabordables et inaccessibles pour de nombreux Canadiens et Canadiennes, y compris les personnes en situation de handicap, les nouveaux arrivants susceptibles de se heurter à des obstacles linguistiques, culturels ou financiers, les familles monoparentales, les personnes âgées et les jeunes.
Prioriser les politiques relatives aux VE s’adresse principalement aux personnes privilégiées et ne tient pas compte de nombreuses autres questions sociales et économiques.
Convertir tous les véhicules motorisés à l’électricité, sans établir une politique solide pour réorienter une partie des déplacements vers d’autres modes de transport, pourrait également accroître considérablement la demande d’électricité. StatsCan prévoit que la consommation d’électricité augmentera entre 4,7 et 9,4 pour cent rien que pour les nouveaux VE, une estimation prudente compte tenu de la tendance à l’utilisation de VE de plus grande taille.
La promotion des VE au Canada et dans le monde entier crée également une énorme demande de minéraux. À la recherche de nouveaux sites d’exploitation minière, l’électrification stimule l’exploitation des grands fonds marins, qui pourrait mettre en danger la biodiversité d’un écosystème fragile.
Une politique nationale des transports au niveau fédéral ne devrait pas reposer uniquement sur les VE. Elle devrait :
- Évaluer tous les projets et toutes les subventions du gouvernement fédéral en matière de transport dans une perspective d’équité afin de savoir si, et comment, les groupes méritant l’équité en bénéficient.
- Créer un fonds permanent pour les transports publics afin d’améliorer et d’étendre les systèmes de transport en commun et de vélos en libre-service dans tout le pays.
- Offrir au moins autant d’incitations et de subventions pour les vélos électriques que ce n’est le cas pour les voitures électriques.
- Donner la priorité au financement de voies réservées aux transports en commun et de projets d’infrastructures cyclables, permettant d’obtenir au moins un réseau de transport minimum, plutôt qu’à l’extension d’autoroutes et à d’autres aménagements destinés principalement aux voitures.
- Financer des projets pilotes pour mettre en œuvre et développer des programmes de logistique pour les vélos et renforcer le secteur national du vélo.
Accorder la priorité aux transports en commun et aux vélos plutôt qu’aux VE réduirait également l’obésité et lutterait contre un mode de vie sédentaire, réduirait le nombre de morts et de blessés sur les routes et nécessiterait beaucoup moins d’espace, ce qui favoriserait une forme urbaine plus compacte et réduirait l’étalement urbain.
Il est clair que les véhicules électriques ne peuvent pas résoudre les problèmes de transport du Canada.
Une stratégie de décarbonisation juste et efficace exige de repenser la dépendance à la voiture et d’investir dans des solutions de rechange durables et inclusives en matière de transport. Le Canada et le Québec doivent prioriser le virage vers les transports publics et actifs dans sa stratégie de décarbonisation afin de s’assurer que personne n’est laissé de côté dans leur transition vers un avenir à faible émission de carbone.
Photo gracieuseté de DespositPhotos