Au Canada, le système d’innovation axé sur la croissance est le plus souvent décrit comme lourd, coûteux et peu performant. Le dernier rapport OMPI 2023 mentionne que les importations d’innovation du Canada dépassent largement ses exportations. Mais ces critiques manquent la cible.
L’innovation est traditionnellement perçue comme les progrès scientifiques et technologiques issus du développement et de la commercialisation de meilleurs produits et services. Elle se nourrit d’efficacité, de concurrence et de solutions axées sur le marché. Pensons aux géants de la technologie de Silicon Valley qui repoussent continuellement des frontières du possible à l’aide de gadgets et de logiciels — téléphones intelligents, véhicules électriques et Internet —, transformant la façon dont nous vivons et travaillons.
La réussite se mesure à la croissance économique, qui peut créer des emplois nécessaires. Il arrive toutefois trop souvent que l’innovation ne crée pas de prospérité pour la population canadienne et ne produise pas de résultats sociaux ou environnementaux.
Le cadre de la politique d’innovation du Canada a besoin d’un nouveau paradigme et d’une relance fondamentale.
Les gouvernements cernent de plus en plus la nécessité d’appliquer l’innovation aux défis sociaux et environnementaux par le biais de ce que l’on appelle innovation sociale, innovation inclusive, Mission innovation ou, plus récemment, innovation de transformation. Ces termes désignent tous l’innovation qui relève des défis sociétaux à l’aide de solutions créatives ayant pour but d’améliorer le bien-être des collectivités, de la population et de l’environnement.
L’innovation sociale cherche à lutter contre des problèmes comme la pauvreté, l’accès aux soins de santé, les changements climatiques, les inégalités en matière d’éducation et le manque de logements abordables. Elle s’emploie à aborder les causes fondamentales d’enjeux complexes à l’aide d’un éventail de solutions qui créent ensemble un changement systémique. L’innovation sociale favorise des résultats sociaux et environnementaux positifs qui stimulent la croissance économique locale.
Bien que l’innovation traditionnelle et l’innovation sociale visent le progrès et le changement, il est essentiel de comprendre les nuances qui les distinguent, non seulement pour nous aider à apprécier leur rôle dans la société, mais également pour mettre en lumière la nécessité absolue d’accorder la priorité à l’innovation sociale.
Que devons-nous faire pour concrétiser l’innovation sociale?
À l’ère de la polycrise, l’innovation sociale offre au Canada des possibilités de transformation, mais elle exigera des changements de politique pour y parvenir. « Le cadre de la politique d’innovation du Canada n’harmonise pas suffisamment l’innovation avec la résolution de la plupart des problèmes sociaux, économiques et environnementaux les plus urgents auxquels le Canada et le monde font face aujourd’hui » [Traduction], affirme catégoriquement la récente publication du Brookfield Institute, Canada’s Moonshot, Solving Grand Challenges Through Transformational Innovation.
Le rapport présente cinq principes de base pour élaborer une politique favorable aux innovations transformatrices (ou « moonshots »). Nous ferions bien de les respecter :
- Choisir de « grands défis » accompagnés d’objectifs clairs, audacieux et limités dans le temps, indépendants du secteur, de la discipline et de la technologie et en harmonie avec les principales priorités du gouvernement.
- Rechercher une structure de gouvernance simple, agile et indépendante.
- Coordonner le soutien de bout en bout à l’aide d’une vaste gamme d’instruments de politique pour contribuer à développer les idées les plus prometteuses et aider celles-ci à rejoindre les marchés prévus.
- Faire participer de manière significative les intervenants qui le souhaitent, y compris les acteurs actuels de l’écosystème de l’innovation, les grands spécialistes de l’industrie et de la recherche, les collectivités et le public.
- Adopter une approche de portefeuille pour gérer le risque, une forte tolérance à l’échec et un cadre d’évaluation axé sur l’apprentissage et l’adaptation.
Les politiques qui en découlent devraient répondre aux besoins non satisfaits et peu intéressants pour l’investissement public ou privé en raison de leur complexité ou de l’absence de la possibilité de profit. Ces politiques créent en outre l’environnement permettant à différents acteurs de collaborer – universitaires, industrie, gouvernement, collectivités ou société civile (ONG ou organisations sans but lucratif).
Mariana Mazzucato a récemment publié Inclusive and Sustainable British Columbia: A Mission-oriented Approach to a Renewed Economy, qui définit une approche complémentaire à l’élaboration d’un cadre de politique d’innovation en se fondant sur quatre questions :
- Objectifs généraux : Les objectifs globaux de la politique d’innovation dépassent-ils la croissance économique?
- Orientation de l’innovation : Aux besoins de quelles personnes satisfait-on?
- Participation à l’innovation : Qui participe à l’innovation?
- Gouvernance de l’innovation : Qui établit les priorités et comment gère-t-on les résultats de l’innovation?
Il serait très perturbateur — et nécessaire — de répondre à ces questions dans le cadre de la politique d’innovation du Canada.
Entre l’héritage d’une pandémie encore brûlante, l’augmentation considérable des coûts associés aux changements climatiques et les indicateurs de détérioration du bien-être social (santé mentale, logement, inégalité des revenus, etc.), les objectifs de l’innovation doivent maintenant être en harmonie totale avec les besoins sociaux et environnementaux de la population canadienne.
En accordant la priorité à l’innovation sociale, nous pouvons créer un avenir plus équitable et durable pour toute la population.
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