Home Français Qui sera abandonné lorsque nous serons forcés d’avoir recours au triage afin de prioriser l’accès aux ressources essentielles et limitées du système de santé?

Qui sera abandonné lorsque nous serons forcés d’avoir recours au triage afin de prioriser l’accès aux ressources essentielles et limitées du système de santé?

by Trudo Lemmens
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Les gouvernements doivent s’engager à respecter les obligations éthiques et juridiques qui leur incombent vis-à-vis les personnes vivant avec un handicap

À la lumière de l’accroissement des statistiques d’infection à la COVID-19, les gestionnaires des soins de santé à travers les provinces et territoires se préparent à des scénarios de pénurie — que ce soit de places en soins intensifs, d’équipements médicaux, ou de personnel — pour traiter les plus grands malades dans les hôpitaux. Dans un contexte de pandémie, le triage implique l’allocation des traitements et ressources limités aux patients, suivant des critères préétablis ou des priorités, afin d’accomplir un objectif donné.

Une priorité est l’utilisation efficace des resources pour maximiser le nombre de survivants. L’objectif peut aussi inclure, en temps de crise extrême, la survie du personnel essentiel à la prestation des soins de santé ou aux autres services qui sont essentielles pour le fonctionnement de la société. Mais qui sont les personnes laissées-pour-compte?

Les personnes vivant avec un handicap craignent ou se méfient de la manière dont les priorités sont fixées dans la pratique de la médecine — et on comprend pourquoi.. Elles s’inquiètent que les priorités, ou la manière dont les critères d’accès sont interprétés et appliqués, les mettront au bas ou près du bas de la liste de priorités. Ces craintes sont nourries par l’histoire et l’expérience vécue des personnes handicapées en lien avec les soins de santé.

Certaines provinces ont rédigé des directives de triage clinique. Ces directives facilitent les décisions des médecins dans des situations de pénurie extrême, et aident à éviter que des décisions de triage soient prises par des médecins individuels à la volée. L’Association médicale canadienne a, elle aussi, récemment émis un cadre décisionnel pour guider ces décisions. Les directives de triage précisent des critères de sélection, ainsi qu’une procédure décisionnelle à suivre pour les comités de triage.

Dans les scénarios de triage, des patients qui bénéficieraient de soins et ressources critiques en temps normal deviendront inéligibles à ceux-ci, le tout suivant divers scénarios de pénurie, et ce même s’ils continueront en principe à recevoir des ressources non-critiques et des soins palliatifs.

Il est primordial que les gouvernements réaffirment certains engagements clef en matière d’éthique et de droits humains fondamentaux, en lien avec les personnes handicapées et l’administration des directives de triage clinique.  Les personnes handicapées ne doivent pas être sacrifiées sur la base d’idées préconçues quant au fardeau que représente un handicap.

Quoique des décisions doivent être prises pour allouer des ressources limitées aux personnes les plus susceptibles d’en bénéficier, les personnes handicapées ne doivent pas se retrouver face à un système décisionnel discriminatoire lorsqu’ils viennent à avoir besoin de soins essentiels à la vie. Leurs vies ont autant de valeur que celles des personnes sans handicap.

Est discriminatoire toute décision de triage qui reflète une dévaluation de la vie des personnes handicapées, ou qui est basée sur des préjugés quant à leur qualité de vie ou chances de survie à long-terme.

Les critères de triage prioritaire basés uniquement sur la présence d’un handicap violent les lois provinciales en matière de droits fondamentaux, ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés. Les handicaps, lorsqu’ils n’ont rien à voir avec la survie d’une personne à court terme, ne peuvent servir de critère de priorisation dans le cadre de directives de triage pour la COVID-19.

Afin de garantir le respect des droits des personnes handicapées, nous formulons les recommandations suivantes :

  1. Les directives de triage devraient insister, de manière explicite, qu’il est impératif d’éviter toute discrimination entre patients pour des motifs interdits par la législation en matière de droits fondamentaux. La présence d’un handicap, même un handicap sévère, ne peut servir de motif pour diminuer la priorité d’accès aux soins intensifs et autres ressources.
  2. Des critères non liés à la survie à court terme ne peuvent servir de motif pour établir l’accès prioritaire aux soins ou l’allocation de ressources.
  3. Les estimés de survie doivent se limiter aux chances de survivre l’événement clinique pour lequel les interventions ou ressources critiques (telles que les respirateurs) sont requises. Les estimés qui dépassent un tel horizon à court terme ouvrent la porte à des décisions basées sur des évaluations subjectives de la valeur ou la qualité de la vie des personnes handicapées.
  4. Le fait qu’une personne handicapée puisse requérir des accommodements, soit durant son traitement (incluant aux soins intensifs), soit pour vivre en dehors du cadre du traitement, n’est pas un motif permettant de réduire son rang dans la priorisation des soins.
  5. Il est évidemment essentiel que toutes les décisions de priorisation soient prises en vertu de critères cliniques fondés sur des données probantes, et non sur des stéréotypes ou présupposés quant au fait que les personnes handicapées ont une qualité de vie moindre ou que leurs vies ne valent pas, ou ne valent plus, la peine d’être vécues.
  6. Les décisions ne doivent, par ailleurs, pas être prises en vertu de présupposés stéréotypés quant aux chances de survie des personnes handicapées.
  7. Toute directive portant sur le triage prioritaire doit préciser que les personnes handicapées qui se servent de respirateurs au quotidien et qui requièrent des soins hospitaliers pour des symptômes de la COVID-19 pourront continuer à utiliser leurs respirateurs personnels, tout en recevant les soins pour la COVID-19. Les respirateurs personnels des personnes handicapées ne doivent en aucun cas être réalloués.
  8. Lorsque des directives font référence à des échelles de fragilité, calculées en fonction de chances de survie à court-terme, les médecins ne doivent pas présupposer qu’un diagnostic ou handicap spécifique indique que la personne n’a que de faibles chances de survie à court terme.

Les provinces et l’AMC devraient être applaudies pour avoir rédigé des directives de triage visant à faciliter les décisions déchirantes qui doivent parfois être prises en temps de pandémie. Mais la rédaction de telles directives devrait être faite de manière transparente, en consultation avec le public. Ces directives devraient, avant tout, être conformes à ce qu’exigent les droits humains fondamentaux, et nous craignons que certaines des directives proposées ne le soient pas.

Protéger les droits de l’homme requiert toujours un certain effort. Cette pandémie ne fera que révéler la profondeur de notre engagement envers ces valeurs fondamentales.

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