Si quelqu’un jetait un coup d’œil dans votre panier d’épicerie, voyait le véhicule que vous conduisez ou prenait note de vos habitudes de recyclage, penserait-il que vous vous sentez concerné par la question de l’environnement? S’en préoccuper passe-t-il par nos choix de consommation? Pour certains, oui. Toutefois, ce n’est pas là la seule façon de prendre soin de la planète.
Après avoir étudié les convictions et les comportements individuels en la matière, je suis arrivée à la conclusion que le fait de réduire la notion de respect de l’environnement à la seule consommation écoresponsable contribue à exacerber la polarisation politique.
Une majorité de gens valorisent les efforts consacrés à l’achat de produits présentés comme meilleurs que d’autres pour la planète, désirent être considérées comme des personnes écoresponsables et se basent sur les choix de consommation pour juger si quelqu’un se préoccupe de l’environnement. Les manifestations de notre engagement éthique élèvent notre statut social ou notre valeur par rapport aux autres tout autant que l’étalage de richesses, sinon davantage. Le fait de conduire un Hummer, par exemple, suscite moins de respect que le fait de conduire un véhicule hybride ou électrique, puisque ce dernier démontre votre souci de l’environnement.
La sociologue Cecilia Ridgeway décrit nos luttes semi-conscientes pour le respect et la reconnaissance comme des « jeux de statut ». Dans ce genre de jeu, les gens accumulent des « points » lorsqu’ils adoptent des comportements valorisés par leur groupe social.
Cette idée m’est revenue en visionnant la série The Good Place, une populaire comédie télé créée par Michael Schur. Dans celle-ci, les protagonistes découvrent l’existence d’un système de points élaboré qui dicte lesquels d’entre eux passeront leur vie après trépas « au bon endroit » et lesquels seront envoyés « au mauvais endroit ».
La surprise au cœur de l’intrigue (alerte au divulgâcheur), c’est que personne n’a été admis au « bon endroit » en plus de 500 ans – soit depuis la naissance du colonialisme et de l’industrialisme. La raison? Les choix de consommation des protagonistes leur font accumuler des points négatifs calculés en fonction de leur incidence sur l’environnement.
La popularité de la série s’explique peut-être en partie par le fait qu’elle réussit à traduire métaphoriquement les sentiments de nombreuses personnes à l’égard de leurs choix de consommation. Les gens se sentent fiers et vertueux lorsqu’ils font leur épicerie dans un marché fermier, utilisent leur vélo au lieu de leur voiture et installent des panneaux solaires sur leur toit. Ces actions reflètent aussi bien leur désir sincère de réduire leur empreinte environnementale que leur habileté au jeu du statut écoresponsable.
Si tout le monde en acceptait les règles, ce jeu ne constituerait probablement pas un facteur de polarisation politique. Or ces règles sont contestées par bon nombre de conservateurs.
Pour illustrer la dynamique entre statut social et idéologie politique, David Brooks écrit : « Les classes ne luttent pas seulement verticalement contre les groupes riches ou pauvres au sein d’une même échelle, mais s’opposent aussi à leurs vis-à-vis partisans de l’autre côté du fossé idéologique ». Cette description correspond parfaitement à ce que j’ai observé lorsque j’ai demandé les gens de m’expliquer à quoi ressemble une conduite soucieuse de l’environnement. Les libéraux de rang élevé m’ont répondu qu’elle correspondait à leur propre comportement, en décrivant les efforts investis pour faire de la récupération, installer des panneaux solaires et réduire leur consommation de viande. Les libéraux de rang inférieur ont répondu pour leur part qu’elle ressemblait à ce que font les gens de leur connaissance soucieux de réduire l’impact de leur mode de consommation.
Les conservateurs de rang élevé, de leur côté, m’ont dit éprouver du ressentiment à l’égard des libéraux qui poussent les gens à réduire leur consommation. Leur souci de l’environnement devrait transparaître dans leurs actions; ils évoquent leur amour de la nature et le temps consacré à profiter des sentiers, des rivières et des paysages de leur région. Ils remettent en question l’écoresponsabilité effective des libéraux en les taxant d’hypocrites (par exemple, faire le tour du monde en avion tout en prônant l’abandon des bouteilles en plastique jetables).
Aux yeux des conservateurs de statut inférieur, personne ne se soucie de l’environnement suffisamment pour en assurer la protection. Ceux-ci rejettent la consommation écoresponsable, qu’ils assimilent à un subterfuge employé par les entreprises pour nous faire oublier tout le tort qu’elles causent aux milieux naturels.
Il nous faut transcender le clivage entre libéraux et conservateurs sur la question de l’environnement en général et des changements climatiques en particulier. Se limiter à débattre des vertus des uns et des autres dans le jeu du statut écoresponsable freine l’adoption, en matière de climat, de mesures ambitieuses – et nécessaires – à tous les échelons de gouvernement.
Que faire pour se sortir de l’impasse?
Il faudra accepter que nos opposants se préoccupent eux aussi d’environnement. Parce que c’est vrai. C’est seulement leur façon de faire qui diffère.
La recherche montre que les libéraux sont plus disposés que les conservateurs à faire des sacrifices pour protéger l’environnement, sans égard à la manière dont sont formulés leurs appels en faveur de sa protection. Par conséquent, l’idée de respecter les façons dont les conservateurs valorisent l’environnement ne devrait pas représenter pour eux un revers.
Les libéraux pourraient contribuer de manière importante à la protection de l’environnement en respectant le point de vue des conservateurs. Et ces derniers devraient cesser de se moquer de la consommation écoresponsable.
Réduire notre consommation demande du temps, de l’argent et des efforts. Accuser quiconque d’hypocrisie revient à exiger qu’il se plie à une norme impossible à respecter – tout comme nous le démontre la série The Good Place. À cause des moyens dont nous disposons pour travailler, nous chauffer, climatiser et électrifier nos maisons et nous déplacer d’un endroit à l’autre, nous utilisons tous et toutes des ressources puisées dans l’environnement.
Les efforts visant à réduire notre impact ne devraient pas être ridiculisés, mais respectés et valorisés.
Tant que notre société sera organisée de telle sorte que nous continuerons à consommer des ressources au rythme actuel — eau, forêts, poisson, minéraux, combustibles fossiles, etc. — il faudra s’attendre à dépasser les capacités de la Terre et à compromettre la survie de nombreuses espèces, dont la nôtre.
Tous les membres de la société civile doivent parler d’une voix forte et unifiée pour réclamer une évolution de notre rapport à l’environnement. Nous avons tous et toutes un rôle à jouer pour atteindre ce but, tout en respectant les différentes façons de prendre soin de la planète.
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