Il y a 34 ans, 14 femmes ont perdu la vie parce qu’un homme qui n’avait pas été accepté à l’École polytechnique de Montréal était convaincu qu’il avait le droit de tuer des femmes qui, elles, avaient gagné leur place. Cette tuerie était un acte de violence inouïe contre les femmes et notre profession.
Nous sommes deux doyennes de faculté de génie et nous avons chacune une fille en génie; nous faisons ensemble une pause le 6 décembre pour nous souvenir de cette tragédie, célébrer le présent et réfléchir à l’avenir.
En 1989, lorsque nous, les mères, étions étudiantes, il n’y avait que 4 000 étudiantes de premier cycle en génie dans tout le pays, et elles représentaient seulement 12 pour cent de la population étudiante de premier cycle. Aujourd’hui, alors que nous, les filles, sommes également dans le domaine de l’ingénierie, il y a plus de 22 000 étudiantes en génie au Canada et elles représentent presque 25 pour cent des étudiants.
Depuis 1988, la participation des femmes aux programmes de premier cycle en génie est 5,5 fois plus élevée. C’est encourageant, mais pour instaurer un véritable changement, un plus grand nombre de diplômées doivent rester dans la profession. À l’occasion de notre commémoration d’aujourd’hui, nous devons amplifier les voix de nos filles et nos rêves communs pour l’avenir de l’ingénierie.
La plus grande présence de femmes dans nos programmes de génie est un bon indicateur d’une culture plus positive et inclusive. Ce changement, soit passer de l’isolement en petit nombre à une culture organisationnelle plus inclusive et solidaire pour aboutir à une véritable appartenance, est notre rêve à toutes et a tous. Toutefois, pour favoriser pleinement ce changement de culture, nous croyons qu’il est urgent de modifier notre approche professionnelle.
Si nous voulons attirer et retenir des femmes dans la profession d’ingénieure, nous devons mettre l’accent sur les raisons pour lesquelles nous construisons et non pas seulement sur ce que nous construisons. À moins d’écouter des personnes qui représentent les écosystèmes sociaux et environnementaux entourant les choses que nous aimons construire, et de tenir compte des répercussions de l’environnement bâti sur ces systèmes vivants, notre économie et la qualité de nos travaux techniques en pâtiront.
Il ne suffit plus de se concentrer uniquement sur les mathématiques et la physique qui déterminent si un pont restera en place. Nous devons mettre au point les outils et accueillir les collègues qui peuvent élargir nos connaissances aux confins de nos travaux techniques. L’emplacement du pont doit prendre en compte la planification urbaine, les sites patrimoniaux et les navetteurs cyclistes, ainsi que les voitures.
Embrasser une culture de cocréation centrée sur l’inclusion des écosystèmes humains et environnementaux constitue un changement culturel profond qu’adoptent maintenant un grand nombre d’entreprises.
En tant que doyennes, nous réfléchissons et nous parlons plus intentionnellement de la confiance que les gens ont dans la technologie qu’ils utilisent et des facteurs qui les conduisent à faire confiance à la technologie ou s’en méfier. Nous orientons les étudiants dans le cadre de conversations sur l’inclusion et la réconciliation. Les projets d’études supérieures dans le cadre desquels des étudiantes et des étudiants font équipe avec des utilisateurs illustrent l’enthousiasme que suscite la conception d’un projet avec l’utilisateur. Nos partenaires industriels mentionnent souvent des temps de démarrage plus courts, des coûts moindres, moins de remaniements et de meilleurs produits lorsque des utilisateurs font partie de l’équipe de conception dès le lancement du projet.
À titre d’ingénieure, Rebecca a récemment construit un hôpital dans une région éloignée du Soudan du Sud ou les femmes peuvent maintenant accoucher dans un milieu sûr. Les travaux essentiels de conception ont dû tenir compte de la sécurité culturelle des femmes utilisant les latrines et de la négociation d’une solution à une revendication territoriale.
En élaborant des outils pour l’avenir, Patricia obtiendra un double diplôme en génie civil et en psychologie en 2025. Elle est convaincue qu’il est nécessaire de mettre en œuvre une approche conceptuelle qui accorde la priorité aux personnes pour opérer un changement significatif, et de faire participer les gens aux processus de conception.
Assouplir les limites de l’ingénierie ne nuit aucunement à l’excellence technique fondamentale de la profession, pas plus qu’une approche d’équipe centrée sur le patient en médecine n’enlève quoique ce soit à la science médicale.
Nous n’avons jamais eu autant besoin d’un plus grand nombre de femmes dans notre profession.
L’ingénierie est un sport d’équipe et, à mesure que nous nous dirigeons vers un avenir imprégné d’IA et compliqué par les changements climatiques et l’instabilité mondiale, il faut que les ingénieures et les ingénieurs adoptent une approche en matière de pensée systémique centrée sur l’humain pour résoudre nos plus grands problèmes.
Photo gracieuseté de DespositPhotos