Le visage humain de la profession au Canada
Nombreux seront les héros qui combattront la COVID‑19 dans les jours à venir. Certains ont d’ores et déjà relevé le défi, infirmières, médecins, ambulanciers paramédicaux et préposés à l’entretien des hôpitaux, chauffeurs-livreurs, employés d’épicerie et travailleurs d’entrepôt.
Lorsqu’on salue leur dévouement, toutefois, on oublie souvent de citer les membres d’une profession indispensable : les aides-soignantes et aides-soignants qui demeurent en poste même lorsque leur propre vie et celle de leurs proches sont en danger.
Et lorsqu’on se souvient de leur existence, on se contente de les mentionner au passage, sans trop réfléchir aux personnes qui exercent ce métier, au travail qu’elles font, ni aux difficultés et aux risques qu’elles affrontent – aussi bien avant la pandémie que depuis sa survenue.
Lorsqu’un ou une pensionnaire meurt loin de sa famille dans des circonstances difficiles et parfois déplaisantes, les aides-soignantes et aides-soignants souffrent aux côtés des proches et des autres résidents.
Qui sont les membres de cette profession? Quel est leur rôle?
On les appelle aussi préposés aux soins, aides en soins de santé, préposés aux soins personnels ou préposés aux malades. Leur groupe représente la main-d’œuvre la plus importante au sein des centres de soins de longue durée et prodigue jusqu’à 90 pour cent des soins directs qu’on y donne. Toutes et tous jouent un rôle essentiel dans le maintien de la qualité des soins et de la qualité de vie des pensionnaires.
Bref, leur travail est indispensable à la survie de notre population la plus vulnérable. Rappelons que plus de 80 pour cent des personnes vivant aujourd’hui en centre de soins de longue durée souffrent d’une forme ou l’autre de déficience cognitive (démence).
En temps normal, nombreuses sont les familles qui se chargent de certaines tâches comme la prise des repas, les promenades et les activités sociales. Et comme les visites ne sont plus autorisées, le fardeau du personnel auxiliaire s’est alourdi.
En raison de leur nature, les tâches accomplies par ses membres ont un caractère intime : donner des bains aux pensionnaires, les faire manger, les aider à faire leur toilette. Impossible, dans ces conditions, de respecter les règles de « distanciation sociale ». Malgré cela, on ne leur fournit pas systématiquement l’équipement de protection individuel nécessaire pour bien se protéger.
D’un bout à l’autre du Canada, la COVID‑19 frappe de plein fouet les centres de soins de longue durée : 600 établissements ont signalé des cas d’infection et un grand nombre d’entre eux ont enregistré des décès attribuables à celle-ci.
Les aides-soignantes et aides-soignants se retrouvent ainsi dans une situation de triple vulnérabilité : leur rôle est plus essentiel que jamais, mais ils sont en nombre insuffisant, sous-payés et mal équipés – qui plus est, leur propre sécurité et celle de leurs familles sont compromises.
Si le secteur des soins de longue durée est aujourd’hui submergé, c’est parce qu’il ne disposait déjà, avant l’apparition de la COVID‑19, d’aucune marge de manœuvre, une observation confirmée par nos recherches échelonnées sur plus de dix ans, dans le cadre du programme Translating Research in Elder Care.
Dans ces conditions, qui assure la cohésion de l’ensemble?
Les données que nous avons recueillies dans plus de 90 établissements en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, sur une dizaine d’années dans certains cas, révèlent que la grande majorité des aides-soignants sont des femmes (90 %), qu’elles ont plus de 40 ans (67 %) et que les deux tiers ont l’anglais comme langue seconde (61 %).
Par ailleurs, 30 pour cent d’entre elles travaillent dans plus d’un établissement à la fois dans le but d’accumuler un nombre d’heures suffisant pour occuper un poste à temps plein ou gagner un salaire de subsistance. La plupart exercent ce métier depuis dix ans en moyenne, dont cinq au sein du même service.
Par rapport à la population générale, les membres de cette profession affichent un taux d’épuisement professionnel plus élevé et une santé mentale précaire. Leurs conditions de travail étaient déjà contraignantes avant que ne survienne la pandémie.
Une étude récente a répertorié la fréquence à laquelle les aides-soignantes omettent ou exécutent à la hâte des tâches essentielles pendant leur dernier quart de travail en raison du manque de temps. Des activités comme faire marcher les pensionnaires; converser aux eux; les aider à se brosser les dents, à aller aux toilettes, à prendre un bain, à se nourrir, à se vêtir et à se préparer pour la nuit.
Plus de 65 pour cent ont rapporté avoir expédié au moins une tâche essentielle et plus de 57 pour cent, en avoir sauté au moins une durant leur dernier quart de travail.
La COVID‑19 n’est qu’un révélateur des lignes de faille déjà présentes dans les milieux des soins de longue durée. Nous devons maintenant tout mettre en œuvre pour éviter d’exposer nos personnes âgées et les membres du personnel auxiliaire à des risques inutiles.
Il faut protéger les héroïnes et les héros du secteur des soins de longue durée.
Il faut leur fournir sans tarder tout l’équipement de protection nécessaire.
De plus, les gouvernements devraient envisager, comme l’ont fait le Québec et la Colombie-Britannique, de supplémenter leurs salaires ou de leur verser une prime pour reconnaître les risques encourus et ainsi faire en sorte qu’ils et elles ne soient pas obligés de travailler dans plus d’un établissement ou de cumuler des postes.
Il faut aussi commencer sur-le-champ à planifier les mesures d’appui qui seront offertes à ces travailleuses et travailleurs essentiels après que la première vague de la pandémie aura déferlé.
Si nous n’intervenons pas immédiatement pour améliorer le soutien offert au personnel de première ligne des centres de soins de longue durée, les répercussions seront bien pires que nécessaire – tant pour les pensionnaires que pour cette main-d’œuvre indispensable.
Photo gracieuseté d’iStock