l’ajout de médecins et d’infirmières ne réduira pas, à lui seul, cet engorgement
On reconnaît de plus en plus que le système de santé du Canada est en crise.
Tous les jours, les médias rapportent des histoires décrivant les horreurs que subit la population canadienne en essayant d’avoir accès rapidement à des soins de santé de qualité. On serait porté à croire que les médias sombrent dans le mélodrame, que les professionnels de la santé, comme moi, exagèrent les faits.
Je peux vous affirmer que la crise est bien réelle. Et les choses sont peut-être pires que ce que s’imaginent la plupart des gens.
De plus, la tentation est grande de considérer les défaillances de notre système comme nous le faisons pour les problèmes d’approvisionnement, l’inflation et les difficultés qu’éprouve le secteur des services — des effets résiduels de la pandémie qui finiront bien par s’arranger tous seuls avec le temps.
Malheureusement, la dégradation de notre système de santé ne résulte pas entièrement de la pandémie. La COVID-19 était tout simplement la goutte qui a fait déborder le vase.
Au Canada, les soins de santé sont sur le point de s’effondrer parce que pendant des décennies, les décideurs du domaine de la santé, de toutes les instances gouvernementales, dans l’ensemble du pays, ont préféré les ignorer délibérément et s’abstenir d’intervenir. Non seulement c’était tout à fait prévisible, mais on l’avait même prédit.
Pendant des années, des chercheurs dans le domaine des politiques sur la santé, des professionnels de la santé, des groupes de réflexion et d’autres intervenants ont tiré la sonnette d’alarme. L’une des toutes premières réunions à laquelle j’ai assisté au début de ma carrière en 1998 portait sur les défis inhérents au secteur de la santé et ce qui devait être fait pour éviter la catastrophe. Même à l’époque, ce n’était pas un nouveau sujet de discussion.
Alors, si notre crise actuelle n’est pas attribuable à la pandémie, quel est le problème exactement?
Les gouvernements ont souvent négligé le fait que le système de santé repose sur des gens. Autrement dit, sans travailleuses et travailleurs de la santé, il ne nous reste que des établissements vides. Bien que cela semble évident, les gouvernements ignorent systématiquement les personnes qui fournissent concrètement les soins de santé.
On fait des annonces pour vanter d’importants investissements dans de nouveaux hôpitaux, de nouvelles machines et d’autres infrastructures en oubliant souvent de mentionner les personnes dont on aura besoin pour transformer ces investissements en véritables gains dans la prestation des soins de santé.
Lorsque les gouvernements se donnent la peine d’inclure des gens qui prodiguent les soins de santé dans leurs solutions proposées, il s’agit presque exclusivement de médecins et d’infirmières. Bien entendu, nous avons besoin de plus d’infirmières et de médecins. Toutefois, un plus grand nombre de médecins et d’infirmières ne conduira pas nécessairement à des améliorations appréciables dans notre système tant qu’on n’aura pas réglé la question du nombre des autres professionnels de la santé.
Notre système de santé est complexe et emploie différentes catégories de travailleuses et de travailleurs de la santé.
Par exemple, les temps d’attente dans les salles d’urgence des hôpitaux servent souvent d’indicateur pour évaluer la condition de notre système de santé, mais ce ne sont pas seulement les soins que prodiguent les infirmières et les médecins qui causent l’engorgement. Si l’on augmente le nombre de médecins et d’infirmières, le triage des patients pourra s’effectuer plus rapidement (un autre indicateur important), ensuite ils devront probablement attendre aussi longtemps — mais à une autre étape du processus.
Dans la grande majorité des cas, les urgentologues ont besoin de tests diagnostiques pour savoir ce qui se passe chez un patient. Ces tests sont réalisés par les technologues en radiation médicale qui font passer les rayons X, les tomodensitogrammes et les imageries par résonance magnétique. Les échographistes pratiquent les échographies. Les technologistes médicaux et les laborantines et laborantins effectuent les analyses sanguines et les autres tests. De plus, les tests diagnostiques jouent un rôle de premier plan dans les soins de santé que reçoit la population canadienne dans d’autres établissements.
Un système de santé efficace exige un travail d’équipe. Toute tentative pour nous sortir du bourbier dans lequel nous nous trouvons devra tenir compte de cette réalité et répondre aux besoins en personnel de plusieurs professions de la santé.
Cette situation se répète partout, pas seulement dans le secteur des diagnostics. Plusieurs des technologues en radiation médicale de notre association travaillent comme radiothérapeutes, en traitant des patients atteints de cancer. Au cours des derniers mois, la pénurie de main-d’œuvre dans ce domaine a entraîné des réductions dans les services d’oncologie offerts aux patients.
La liste de ceux et celles que j’appelle les « travailleuses et travailleurs invisibles de la santé » est longue.
De plus, nous n’en avons pas assez — et ceux et celles qui travaillent connaissent un niveau sans précédent d’épuisement, éprouvent un sentiment d’insatisfaction professionnelle et partent plus tôt à la retraite.
Nous sommes à la croisée des chemins : les gouvernements peuvent continuer à faire ce qu’ils font depuis longtemps – ils peuvent même y mettre plus d’efforts et dépenser plus d’argent. Mais comme le dit l’adage, la définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent.
Notre système de santé est sous respirateur artificiel. Le retrait du respirateur ne se produit que pour l’une des deux raisons suivantes : soit que le patient montre des signes d’amélioration, soit qu’on a jugé qu’il n’y a plus d’espoir de rétablissement.
À l’heure actuelle, le patient est notre système de santé. Son sort dépendra de la volonté de ceux et celles qui ont la capacité de mettre en œuvre les changements — et d’inclure les professionnels de la santé dans leurs stratégies.
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