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Les soins de santé c. la Charte

by Colleen Flood
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Définir les temps d’attente pour tous

Les plaidoiries ont eu lieu la semaine dernière dans le cadre de l’affaire Cambie Surgeries Corporation c. la Colombie-Britannique, un procès s’étendant sur plusieurs années qui cherche à faire invalider les lois qui limitent les possibilités de créer un système de santé à deux vitesses. Les demandeurs, représentés par le chirurgien orthopédique et co-propriétaire de la clinique Cambie, le Dr Brian Day, allèguent que les longs délais d’attente dans le système public portent atteinte au « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », comme le stipule la Charte canadienne des droits et libertés. Ils demandent que la Cour résolve le problème non pas en déterminant les délais d’attente pour tous les patients, mais en permettant aux médecins de travailler à la fois dans le secteur public en plus de pouvoir facturer des frais aux patients ou à leurs assureurs privés.

La cause s’appuie sur un jugement controversé rendu en 2005 par la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Chaoulli c. Québec, qui annulait l’interdiction de vendre une assurance privée pour des soins médicalement nécessaires. L’arrêt Chaoulli a été rendu conformément à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et non à la Charte canadienne. Il ne s’applique donc pas aux autres provinces jusqu’à présent. C’est ce que l’affaire Cambie essaie de changer.

L’affaire Cambie va beaucoup plus loin que l’affaire Chaoulli. Elle cherche non seulement à faire renverser toutes les restrictions à des soins de santé à deux vitesses inscrites dans la Medicare Protection Act de la Colombie-Britannique — non seulement la loi qui interdit de souscrire une assurance privée pour des soins médicalement nécessaires, mais aussi les clauses qui interdisent aux médecins qui facturent le régime public de travailler dans le secteur privé à but lucratif (ce qu’on appelle la « double pratique »). En effet, même l’interdiction de la surfacturation — selon laquelle les médecins ne peuvent pas imposer des frais supplémentaires aux patients du régime public — fait partie de la contestation.

Alors que les représentants de l’affaire Cambie reconnaissent la légitimité de l’interdiction de la surfacturation, cela ne les a pas empêchés de demander à la Cour un remède radical, c’est-à-dire d’invalider toutes les restrictions de la province qui s’appliquent au régime privé, y compris l’interdiction de la surfacturation, tout en suspendant temporairement cette déclaration pendant que le gouvernement modifie la loi (s’il le désire).

Comme on peut le constater, l’enjeu est considérable pour l’avenir du système de santé public.

Cette cause soulève une question complexe concernant l’interaction entre les secteurs de la santé public et privé. En plaidant pour davantage de soins à deux vitesses, le Dr Day offre une vision optimiste de la situation : l’augmentation des soins privés soulagera le système public ou, du moins, ne lui nuira pas.

Par contre, de nombreux économistes de la santé démontrent qu’un système à deux vitesses rallongerait les temps d’attente, car les médecins s’adonnant à la double pratique donnent la priorité à leurs patients « riches et en santé » qui leur permettent de faire davantage de profits, au détriment des patients qui font la file dans le système public où les soins sont en principe rationnés selon les besoins médicaux.

La libéralisation du système à deux vitesses augmentera également les importantes disparités géographiques dans l’accès aux soins de santé au Canada étant donné que les médecins migrent vers les centres urbains et offrent des soins aux « bien-portants anxieux ». En théorie, les gouvernements pourraient rémunérer davantage les médecins pour les inciter à demeurer fidèles au système de santé public, mais cette mesure est susceptible de coûter cher et d’être difficile à négocier, car les médecins canadiens protègent férocement leurs revenus et leur autonomie professionnelle.

Des expériences récentes effectuées en Australie et en Irlande illustrent les pièges possibles. Au cours des dernières décennies, les deux pays ont adopté le système à deux vitesses et ils ont vu les coûts des soins de santé augmenter et les temps d’attente se rallonger.

Si jamais le Dr Day gagne son procès, la décision sera sans doute portée en appel et se retrouvera devant la Cour suprême du Canada. Cela pourrait avoir des répercussions sur le système universel de soins de santé dans tout le pays. À cette étape, les gouvernements seront confrontés à un choix important : accepter les contestations en cour comme celle de l’affaire Cambie ou agir résolument pour réaffirmer le principe de l’accès aux soins selon les besoins.

Pour les gouvernements de droite qui préconisent une accélération rapide de la privatisation, les conditions sur le terrain sont plutôt favorables. Alors que deux tiers des Canadiens possèdent déjà une assurance privée pour les biens et services qui ne sont pas couverts par le régime public, comme les médicaments d’ordonnance et les soins dentaires, le pays est bien positionné pour une privatisation rapide des services hospitaliers et médicaux.

Par ailleurs, les gouvernements qui sont déterminés à préserver l’esprit de l’assurance maladie doivent aborder cette contestation constitutionnelle avec un sentiment d’urgence. La réaction du Québec face à l’arrêt Chaoulli est instructive : la province a autorisé l’assurance privée duplicative seulement pour des catégories de soins bien précises (p. ex. les chirurgies de la hanche, du genou et de la cataracte), tout en déterminant des temps d’attente garantis pour ces mêmes services — une stratégie qui a au moins ralenti l’essor de la médecine à deux vitesses.

Si jamais l’affaire Chaoulli et maintenant l’affaire Cambie incitent d’autres provinces à s’attaquer au problème des temps d’attente, il y aura alors au moins un aspect positif à tirer de ces batailles judiciaires regrettables entourant les questions complexes liées à la politique de la santé.

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