En 2023, Elon Musk a déclaré : « Les ESG, c’est le diable », après que Tesla eut obtenu une cote inférieure à celle du cigarettier Philip Morris International selon le S&P 500 Sustainability Screened Index, un indice de durabilité qui tient compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Musk a-t-il raison de vilipender le concept d’ESG? À l’instar de nombreux autres critiques, il semble mal saisir la différence entre celui-ci et l’investissement à retombées sociales.
Les facteurs ESG sont bons pour les affaires et engendrent un investissement profitable. Mais le second cadre d’analyse permet d’évaluer en outre les retombées sur le plan social et environnemental.
C’est un fait bien documenté : investir dans une optique ESG est corrélé avec une meilleure rentabilité. En gros, les entreprises affichant une cote ESG élevée tendent à être économes en ressources, à compter un effectif productif et en bonne santé et à disposer d’une équipe de direction diversifiée, ce qui favorise une bonne prise de décision stratégique.
Il existe donc clairement un lien entre une cote ESG élevée, une diminution du risque et un niveau de profitabilité plus élevé.
L’investissement à retombées sociales offre cependant un cadre encore plus prometteur.
On parle ici d’une philosophie d’investissement ayant pour objectif d’engendrer, en plus d’un rendement financier, des bienfaits sociaux et environnementaux. Les deux approches sont cousines, mais la plus ambitieuse des deux est l’investissement à retombées sociales.
De façon générale, le cadre ESG est un outil qui permet d’examiner le fonctionnement d’une entreprise. Il peut brosser un portrait assez juste de ses pratiques de gestion (comme la rémunération de son personnel ou la composition de son conseil d’administration), mais pas de ce qu’elle accomplit dans les faits. L’investissement à retombées sociales offre un cadre plus approprié pour évaluer cet aspect des choses.
Il s’agit d’un instrument qui n’est pas axé uniquement sur l’équité des opérations au sein même d’une entreprise; il tient aussi compte des produits et services qu’elle propose. Contribuent-ils véritablement à la recherche de solutions aux problèmes sociaux et environnementaux les plus pressants dans le monde? L’analyse des facteurs ESG pourrait bien ne pas offrir de réponse à cette question, alors qu’un examen des résultats positifs liés aux revenus des filières de produits et de services, lui, le permettra.
« Comment se fait-il que les cigarettes, qui tuent plus de huit millions de personnes chaque année, constituent un investissement plus éthique que les voitures électriques? », se demande Elon Musk. La réponse, c’est que comparé à Tesla, la société Philip Morris a peut-être des opérations internes plus robustes et équitables – d’où sa cote ESG élevée, en dépit des effets négatifs des cigarettes et des résultats surtout positifs associés aux voitures électriques.
Une approche fondée sur l’investissement à retombées sociales évaluerait différemment les deux entreprises, car elle tiendrait compte des bienfaits sociaux et environnementaux engendrés à long terme par leurs activités, en plus de leurs retours financiers.
Philip Morris n’est pas la seule entreprise à cote ESG élevée qui risquerait d’obtenir un résultat fort différent dans une évaluation menée en fonction du second cadre.
À première vue, on pourrait croire qu’une société comme TC Energy ne se classerait pas très bien parmi les investisseurs ESG. Après tout, l’oléoduc Coastal GasLink dont elle est propriétaire achemine du gaz naturel sur un parcours de 670 km à travers la Colombie-Britannique. Même si des ententes ont été signées avec 20 conseils de bande élus, les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en dans la région intérieure de la province ont appelé récemment les investisseurs à boycotter l’émission par l’entreprise d’obligations d’une valeur de cinq milliards de dollars, invoquant des préoccupations sociales, environnementales et culturelles.
Dans les faits, TC Energy affiche une cote ESG supérieure à la moyenne dans le marché canadien. Comment une société qui contribue selon toute vraisemblance à perpétuer des problèmes sociaux et environnementaux comme la pollution parvient-elle à obtenir pareil résultat?
De nombreuses banques et sociétés pétrolières observent à l’interne des pratiques qui tiennent compte des facteurs ESG – tous des critères importants. Mais la plupart ne proposent pas de produits ou de services qui contribuent à la recherche de solutions aux grands enjeux sociaux et environnementaux qui se posent dans notre pays.
D’un point de vue éthique, est-il suffisant d’investir dans des entreprises à cote ESG élevée dont les produits et services sont néfastes pour les populations ou la planète? La réponse réside chez l’investisseur individuel et ses propres buts.
Les deux cadres d’investissement offrent un niveau de profitabilité élevé. On peut faire de l’argent et en même temps récompenser des valeurs positives.
Mais il y a une importante distinction à faire entre les deux. Si vous visez un portfolio constitué d’entreprises qui affichent un bon bilan à la fois sur le plan des critères ESG et de leur empreinte environnementale et sociale, c’est l’investissement à retombées sociales que vous voudrez privilégier comme stratégie.
Le cadre ESG n’est pas le diable. Le diable se trouve plutôt dans les détails.
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