Cela fait plus de 25 ans qu’une province canadienne, la première de dix, a entamé une action en justice contre les trois plus grands fabricants de tabac au pays concernant les préjudices subis par la population en raison du tabagisme. Le mélange d’émotions ressenties à l’annonce du récent projet de règlement est tout à fait compréhensible. Il s’agit là du résultat du travail d’avocats spécialisés dans les faillites et non de professionnels de la santé publique.
Une vérité saute aux yeux : la proposition (en anglais seulement) de 32,5 milliards de dollars est loin d’être suffisante pour compenser les dommages liés aux effets nocifs du tabac.
De plus, le règlement proposé (article en anglais seulement) ne contribue guère à nous rapprocher du jour où le Canada sera un pays sans tabac.
Le règlement prévoit des paiements importants aux provinces pour les aider à couvrir les frais de santé, mais il ne représente qu’une fraction des coûts réels associés aux dommages causés par le tabagisme. Le règlement comprend en outre une certaine indemnisation pour les victimes du tabac et leurs familles, plutôt qu’encore des années d’attentes, ce qui est une bonne chose.
En revanche, ironiquement, la poursuite de la vente des produits du tabac au pays, à une échelle ingénieusement conçue pour permettre à l’industrie de payer le règlement, générera probablement des coûts de santé supplémentaires qui dépasseront les sommes devant être versées. L’industrie du tabac, intacte, conservera sa capacité à engendrer maladies, handicaps et décès au pays.
Nous pouvons améliorer le règlement proposé — il n’est pas trop tard!
Du règlement, un milliard de dollars est alloué à la mise sur pied d’une fondation pour financer la recherche axée sur « l’amélioration des résultats de santé chez les personnes atteintes de maladies liées au tabac. » Selon le projet de règlement, cela devrait « bénéficier indirectement aux utilisateurs de produits du tabac qui ne sont pas directement indemnisés » dans le cadre du présent règlement proposé.
Avec un milliard de dollars, ce qui ne représente que 3 % du montant total du règlement proposé, cette nouvelle fondation se comparerait aux plus grands organismes à but non lucratif au Canada.
Cependant, le problème est que nous n’avons pas réellement besoin d’une telle somme pour acquérir des connaissances relatives au diagnostic et au traitement des maladies liées au tabagisme. Nous les détenons déjà.
Ce fonds d’un milliard de dollars devrait plutôt être utilisé de la manière la plus efficace possible pour aider les personnes au pays qui vivent avec les effets du tabagisme aujourd’hui et pour empêcher l’émergence d’une nouvelle génération dépendante à la nicotine.
Cet argent pourrait être bien plus utile à la population s’il était investi dans trois domaines clés de la lutte contre le tabagisme : le déploiement d’efforts considérables pour prévenir le tabagisme et contrôler l’industrie du tabac; le renforcement de la sensibilisation du public aux effets nuisibles des produits de cette industrie; et les programmes d’abandon du tabac.
C’est ce qu’on a vu aux États-Unis lorsque le Master Settlement Agreement a été conclu avec les géants de l’industrie du tabac en 1998, il y a de cela 26 ans! Les États-Unis ont mis sur pied une fondation dotée d’un financement récurrent (et non un règlement forfaitaire) provenant de la vente du tabac, l’American Legacy Foundation (site en anglais seulement), qui deviendra la fondation Truth Initiative (site en anglais seulement), et dont le slogan est le suivant : Inspirer des vies à l’abri du tabagisme, du vapotage et de la nicotine (traduction libre).
La mission (site en anglais seulement) de la fondation Truth Initiative est claire : Présenter des faits sur le tabagisme, le vapotage, la nicotine et l’industrie du tabac. Inciter la population et les groupes à faire bouger les choses dans leurs communautés, à innover pour mettre fin à la dépendance à la nicotine, et à unir leurs forces à celles de collaboratrices et collaborateurs engagés afin de prévenir la dépendance à la nicotine chez les jeunes et les jeunes adultes et d’aider les gens à cesser de fumer.
Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose ici?
De nombreuses parties prenantes au pays, dont Cœur + AVC, ont plaidé pendant les longues années de négociation du règlement, en faveur d’un investissement et d’une approche préventive et éducative semblables au Canada.
C’est encore possible.
La formulation du mandat relatif à ce financement d’un milliard de dollars pourrait être modifiée. Ce changement n’est pas seulement faisable — il est essentiel.
Il aurait une importance considérable sur les réalisations que pourrait mener à bien la fondation dans les années à venir.
Nous devons aider les personnes qui fument actuellement, et pas seulement celles qui ont fumé dans le passé. Nous devons en empêcher d’autres de devenir dépendantes dans l’avenir. Et nous devons mettre un frein à une industrie dont les produits et les activités engendrent des souffrances et des coûts à un niveau inégalé pour la population.
Le règlement proposé pourrait dégager l’industrie du tabac de toute responsabilité future. Ceci est notre seule chance, nous ne pouvons pas la rater.
Des progrès considérables ont été réalisés au cours des dernières décennies, mais trop de personnes développent encore une dépendance à des produits nicotiniques qui ont des effets dévastateurs sur leur santé et sollicitent énormément nos précieuses ressources en matière de soins de santé.
En faisant en sorte que la prochaine génération puisse réellement vivre sans tabac, ce règlement laisserait un héritage positif. Le tabac a causé assez de maladies, de décès et de souffrances. La population mérite mieux.
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