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Le dossier urgent de la gestion des données sur la santé au Canada

by Ewan Affleck
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Les gouvernements canadiens ont investi massivement pour améliorer l’utilisation des données sur la santé, mais le plus souvent sans vision nationale bien définie. En résulte une approche incohérente, qui nuit à l’obtention de bons résultats en matière de santé, fait grimper les coûts et aggrave les inégalités.

Nous pourrions apprendre quelque chose de l’expérience des banques canadiennes. Réunies en 1984, elles s’étaient entendues pour adopter une plateforme numérique commune, appelée Interac, ce qui a permis à la clientèle d’entreprises pourtant concurrentes d’effectuer des transactions à partir de n’importe quel guichet automatique. Depuis ce temps, nos renseignements personnels nous suivent partout, ainsi que la capacité d’accéder à notre argent — peu importe la banque ou la succursale avec laquelle on fait affaire ou le lieu où l’on se trouve.

Voilà presque 40 ans que cette innovation a été implantée, mais lorsqu’il s’agit d’accéder à leur dossier médical pour le consulter et réunir l’information qu’il contient, la plupart des Canadiens et Canadiennes se heurtent à des difficultés. Comment expliquer que le système de santé ait échoué là où le secteur bancaire a réussi?

On ne peut trop insister sur le lien qui unit les données sur la santé au bien-être de la population, comme le démontre le dernier rapport en date d’un comité consultatif d’experts de l’Agence de santé publique du Canada. En effet, le secteur de la santé se fonde sur cette information pour guider presque toutes les décisions qui s’y prennent, qu’il s’agisse de choisir un antibiotique pour traiter une simple infection urinaire ou d’élaborer en temps de pandémie des politiques nationales qui auront une incidence sur des millions de personnes.

L’insuffisance ou l’inexactitude des données sur la santé peut nuire gravement à la prestation des soins et aux services de santé publique et compromettre la santé de la population.

Nos données individuelles, ou renseignements personnels sur la santé, servent à guider les soins que nous recevons. S’il ne peut pas accéder à notre dossier de santé et à d’autres données privées nous concernant, un prestataire de soins aura du mal à nous prodiguer des soins pertinents et sûrs.

Les données populationnelles, qui regroupent des éléments d’information issus de sources variées, servent à planifier les services de santé publique et à orienter leurs activités, par exemple les programmes de vaccination ou les travaux de recherche sur le traitement du cancer.

Le problème, c’est qu’au Canada l’organisation et l’intendance des données sur la santé font défaut.

En 1992, la Cour suprême a statué que les patients avaient un droit de regard sur leurs renseignements médicaux, mais que leur dossier en tant que support appartenait au médecin. Près de 30 ans plus tard, les patients n’ont toujours que bien peu de contrôle sur cette information, puisqu’elle est conservée, selon les pouvoirs prévus par la loi, par les fournisseurs de soins, qui sont considérés comme ses « dépositaires ».

Ainsi, les fournisseurs de soins consultés par un patient sont désignés pour la plupart comme les dépositaires de ses renseignements médicaux et leur responsabilité première consiste à protéger ces derniers. Le corollaire de cette approche, c’est que les données sur la santé sont réparties entre plusieurs fournisseurs, et bien souvent dans des structures distinctes.

Par ailleurs, les lois régissant la garde des renseignements personnels sur la santé varient d’une province à l’autre. En résulte un fatras de silos de données, fragmentés et inefficaces, qui sont gérés par des cliniques médicales, des hôpitaux, des instituts de recherche et des autorités sanitaires dans treize provinces et territoires, et soumis à des règlements incompatibles qui entravent souvent leur bon usage.

On pourrait affirmer qu’au Canada, la législation condamne à l’échec l’excellence en matière de données sur la santé.

Le secteur de la santé a investi pendant des années dans les technologies numériques, puisqu’on pensait, à tort, que cette avenue allait régler tous les problèmes. On ne s’est pas rendu compte que le véritable obstacle à la gestion efficace des données n’était pas simplement une affaire de technologie, mais bien de politique et de gouvernance.

En cette ère numérique, tout cadre de gestion des données qui serait élaboré sur la base de la garde de documents papier sera voué à l’échec. Pour remplir leurs promesses, il faut que les données sur la santé soient centrées sur la personne.

Ce recentrage de la conception des données permettrait d’harmoniser le déroulement du travail, les politiques et les technologies entre les différents fournisseurs de services et les provinces. Les premiers conserveraient leur capacité d’accès dans le but de donner des soins, tandis qu’un nouveau rôle – celui d’intendant – serait créé pour administrer les données populationnelles dans l’intérêt général tout en veillant à la protection de la vie privée et des renseignements personnels.

Cela ne se produira qu’à condition de réinventer, afin de l’adapter à l’ère numérique, notre approche en matière de politiques et de gouvernance des données.

D’aucuns diront que notre fédération est paralysée par la séparation inaltérable des pouvoirs en matière de santé. La réponse simple à cette objection, c’est qu’il n’y a rien dans la Constitution qui interdit aux provinces et territoires de s’entendre sur la définition de normes communes en matière de données sur la santé. Si des banques concurrentielles ont réussi à coopérer pour le bien de tous, il est permis de croire que tous les ordres de gouvernement pourront eux aussi parvenir à un accord.

Les données mènent à la connaissance et la connaissance, à la sagesse. Notre mauvaise gestion de l’information nous prive des deux et pose un risque pour la sécurité de la population. Nous pouvons faire mieux que ça.

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Photo avec l’aimable autorisation d’UnSplash

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