Plus de trois ans se sont écoulés depuis que la COVID-19 a déferlé sur les établissements de soins de longue durée, en coûtant la vie à plus de 14 000 personnes fragiles. Presque tous s’entendent pour dire que les cruelles souffrances infligées aux adultes âgés vulnérables et les décès enregistrés étaient autant attribuables aux graves problèmes qui persistent dans les établissements de soins de longue durée qu’au virus lui-même.
Au cours des années qui ont précédé la pandémie, des dizaines de rapports provinciaux, d’articles scientifiques et de reportages ont fait état de décennies de sous-financement, de négligence, de mauvaise reddition de comptes et de réglementation inadaptée ou inappropriée. Rédigé avec des collègues de la Société royale du Canada, notre rapport de 2020, Rétablir la confiance : La COVID-19 et l’avenir des soins de longue durée, a montré à quel point ces lacunes, auxquelles s’ajoutent des résidents et des résidentes présentant des problèmes de santé complexes, une infrastructure désuète et un personnel laissé à lui-même et composé majoritairement d’aides-soignants et de préposés non réglementés, mal rémunérés et mal formésont aidé la COVID-19 à avoir des conséquences aussi dévastatrices dans les établissements de soins de longue durée.
Ces brèches existaient bien avant la COVID-19; la pandémie a pu alors s’y infiltrer.
Afin de répondre à cette situation, nos gouvernements provinciaux et fédéral ont réservé de nouvelles sommes leur permettant de s’attaquer aux problèmes. Cependant, la population canadienne attend toujours que soient menées d’importantes réformes pour revoir de fond en comble la qualité dans les établissements de soins de longue durée, de manière à ce que personne ne craigne d’y vivre ses dernières années.
Qu’est-ce que ça prendrait? Bien plus que de belles paroles et de modestes injections de capitaux.
Le gouvernement fédéral prévoit déposer une loi sur les soins de longue durée sécuritaires, qui repose sur les nouvelles normes nationales en matière de services de soins de longue durée. À lui seul, le titre de ce projet de loi semble jouer le rôle de catalyseur de changement. Mais pour y parvenir, la loi fédérale ne doit pas se limiter à de belles idées définissant à quoi devraient ressembler les soins de longue durée de haute qualité. Elle doit avoir suffisamment de mordant pour ce qui est des fonds en jeu et des conséquences en cas de non-respect des normes nationales.
Heureusement, nous avons réalisé des progrès sur ce qui définit les nouvelles normes nationales.
Plus tôt cette année, l’Organisation des normes de la santé (HSO) et l’Association canadienne de normalisation (Groupe CSA) ont publié toutes les deux le fruit de leur travail en ce qui a trait à l’élaboration de normes nationales. Les normes de HSO portent surtout sur les façons de prodiguer des soins de haute qualité qui sont éprouvés scientifiquement. De plus, ces normes sont axées sur les résidents et les résidentes, donnent des pouvoirs à une main-d’œuvre compétente et productive, favorisent l’amélioration de la qualité et la formation continue et préconisent d’excellentes pratiques de gouvernance. Les normes du Groupe CSA, quant à elles, régissent la création et l’exploitation d’établissements de soins de longue durée ainsi que la prévention et le contrôle des infections dans ces lieux.
Toutefois, ces normes sont d’application volontaire. Les gouvernements provinciaux et territoriaux qui sont chargés de réglementer les établissements de soins de longue durée n’ont aucunement l’obligation de les intégrer à leurs lois et politiques. Après la catastrophe qui est survenue dans les établissements de soins de longue durée du Canada durant la pandémie, ce n’est tout simplement pas suffisant.
Afin d’être un moteur de changement, la loi fédérale sur les soins de longue durée sécuritaires doit soumettre le nouveau financement à des conditions pour respecter les normes nationales dans les établissements de soins à longue durée. Par exemple, elle pourrait exiger que chaque province se conforme aux normes nationales définies par un organisme pancanadien ou encore, une province pourrait mettre sur pied sa propre commission indépendante sur les soins de longue durée pour instituer et appliquer son ensemble de normes pourvu qu’en substance, elles soient équivalentes aux exigences nationales. Ainsi, les gouvernements provinciaux et fédéral doivent produire des rapports de manière transparente et à intervalles réguliers sur le respect des normes de sécurité.
Certes, nous savons tous que normalement, la tâche de réglementer les soins de santé est du ressort des provinces et des territoires. Toutefois, le gouvernement fédéral peut en toute légitimité utiliser son grand pouvoir de dépenser pour susciter des changements à l’échelle nationale, de manière à inciter les provinces et les territoires à mettre en œuvre les réformes visant à assurer l’uniformité et la bonne qualité des soins dans les établissements de soins de longue durée partout au Canada.
Pour que ce plan d’action fonctionne, le gouvernement fédéral doit prendre une plus grande partie des coûts financiers à sa charge.
L’engagement du gouvernement fédéral à injecter 3 milliards de dollars sur cinq ans pour financer les améliorations à l’échelle provinciale et territoriale est loin d’être suffisant. Le directeur parlementaire du budget du Canada estime qu’il en coûterait environ 13,7 milliards de dollars par année pour procéder à une réforme des soins de longue durée. Il s’agit là, sans contredit, d’un investissement important, mais l’ampleur des problèmes en soins de longue durée l’exige.
La population canadienne est vieillissante et les besoins en soins de longue durée augmenteront. Alors que la plupart des Canadiennes et des Canadiens préfèrent vieillir à la maison et que le gouvernement fédéral est disposé à aller dans ce sens, plusieurs personnes âgées auront besoin du type de soins que l’on retrouve seulement dans les établissements de soins de longue durée. Il n’est pas très rentable que nous économisions tous au cas où nous aurions besoin de soins jour et nuit quand, en réalité, même parmi les personnes très âgées, seul un très faible pourcentage d’entre nous aura besoin de ce soutien.
Aucun véritable changement ne se produira sans qu’il y ait de mécanisme concret pour définir régulièrement les normes de sécurité nationales en matière de soins de longue durée et des sommes octroyées aux établissements de soins de longue durée du Canada. La loi fédérale, qui promet des soins de longue durée « sécuritaires » comme son nom l’indique, doit prévoir en retour un financement réel et durable ainsi qu’une reddition de comptes des provinces et des territoires.
Les nobles déclarations ambitieuses pour des soins de longue durée plus sûrs n’accroîtront pas la sécurité des Canadiennes et des Canadiens qui vivent dans ce genre d’établissements. Elles ne rassurent pas non plus ceux et celles qui se demandent comment ils passeront les dernières années de leur vie en toute sécurité.
En mémoire des résidents et des résidentes, du personnel ainsi que des familles qui ont grandement souffert dans les établissements de soins de longue durée durant la pandémie, il ne fait pas de doute que nous devons prendre des mesures décisives. Les paroles ne suffisent plus.
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