Si le personnel de la santé était un patient, il serait dans un état critique. La population semble avoir compris cela.
Un sondage national de l’Université d’Ottawa, mené du 4 au 8 mars 2022 auprès des membres du Forum Angus Reid, brosse un portrait troublant de nos sentiments à propos des travailleuses et travailleurs de la santé. Neuf personnes sur 10 (87 pour cent) affirment qu’elles s’inquiètent de la santé mentale du personnel de la santé.
Ce niveau de préoccupation dépasse même celui des Canadiennes et Canadiens concernant leur propre santé mentale et physique. Lorsqu’on leur demande ce qui a changé depuis mars 2020, 54 pour cent d’entre eux répondent que leur santé mentale s’est détériorée. Après deux ans de stress pandémique, nous sommes donc beaucoup plus susceptibles d’exprimer notre inquiétude à propos de la santé mentale du personnel de la santé qu’à déclarer que notre propre santé s’est dégradée.
Les gens ne se soucient pas seulement des travailleuses et travailleurs de la santé; ils s’inquiètent aussi des répercussions sur leur accès aux services de santé et sur la qualité des soins. Quatre personnes sur cinq (79 pour cent) disent craindre pour leur accès aux services de santé en raison de la pénurie de personnel dans ce secteur. Et un nombre légèrement supérieur de répondants (84 pour cent) affirment être inquiets de la qualité des soins de santé.
Les femmes sont sensiblement plus nombreuses que les hommes à exprimer leur inquiétude au sujet de la santé mentale du personnel de la santé, de l’accès aux services de santé et de la qualité des soins. Peut-être est-ce dû au fait que les effectifs en santé sont composés principalement de femmes. En effet, plus des trois quarts des travailleuses et travailleurs de la santé s’identifient comme femme, et cette proportion augmente chaque année.
À l’échelle des régions, la moitié des personnes sondées au Canada atlantique (53 pour cent) sont fortement d’accord pour dire qu’elles s’inquiètent de leur accès aux services de santé en raison de la pénurie de personnel, ce qui représente le plus haut taux, et de loin, au pays. Cela est possiblement dû à l’importance qu’a prise l’enjeu des soins de santé lors des élections provinciales dans cette région.
Si la population comprend la situation, ça ne semble pas être le cas des politiques. Dans le récent budget fédéral, on ne trouvait rien concernant ces préoccupations croissantes.
Durant la pandémie, les préoccupations en matière de santé et de sécurité et les charges de travail insoutenables ont entraîné une hausse considérable des cas d’épuisement professionnel et d’autres problèmes de santé mentale, qui étaient déjà répandus auparavant chez les infirmières et les médecins. Le personnel de la santé a dû composer avec des journées de travail de 16 heures et plus, l’annulation des vacances et les réaffectations forcées.
Et cela, c’est sans compter la violence.
Déjà, avant la pandémie, on nous prévenait que le personnel infirmier subissait une violence croissante en raison du sous-effectif, des mesures de sécurité inadéquates et de l’augmentation du nombre de patients, et que même les femmes en médecine étaient victimes d’incivilités, d’intimidation et de harcèlement.
Dans son rapport de 2019, Violence subie par les travailleurs de la santé au Canada, le Comité permanent sur la santé de la Chambre des communes notait que les travailleuses et travailleurs de la santé ont quatre fois plus de risque de subir de la violence au travail que ceux des autres professions. Pourtant, la plupart des cas de violence ne sont pas signalés en raison de la culture d’acceptation de la violence.
Seul un petit nombre des recommandations importantes de ce rapport ont été appliquées. Nous attendons toujours la campagne de sensibilisation sur la violence subie par le personnel de la santé et le cadre pancanadien de prévention de la violence. Il en va de même pour la mise à jour essentielle de la Stratégie pancanadienne relative aux ressources humaines en santé, qui doit contribuer à combler les pénuries de main-d’œuvre et refléter le bien-être des professionnels de la santé.
Alors que les travailleuses et travailleurs de la santé s’occupent de nous, le gouvernement ne leur fournit pas le soutien et les soins dont ils ont besoin par l’entremise de politiques publiques bénéfiques.
Comme énoncé par plus de 65 organismes de soins de santé et 300 experts et leaders du secteur dans une pétition de mobilisation lancée l’an dernier, il est temps que le gouvernement fédéral prenne l’initiative de soutenir les provinces, territoires, régions, hôpitaux, autorités de la santé et responsables de programmes de formation en investissant dans l’amélioration des données sur la main-d’œuvre en santé et des outils de prise de décisions.
Le Canada doit prendre des décisions éclairées en matière de dotation, optimiser la contribution de la main-d’œuvre disponible et améliorer la sécurité des milieux de travail. En ce moment, nous prenons des décisions à l’aveugle.
Les arguments en faveur d’un investissement dans le soutien des travailleuses et travailleurs de la santé sont à la fois économiques – la main-d’œuvre en santé représente huit pour cent du PIB du Canada, soit plus de 175 milliards $ en 2019 — et humains.
Il faut en venir à l’évidence. Le statu quo représente la solution la plus dispendieuse et la moins défendable dans l’avenir.
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