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La commémoration ne suffit pas

by Nicole Letourneau
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Des mesures doivent être prises pour lutter contre la violence basée sur le genre au Canada

Une autre Journée nationale de commémoration est passée; chaque année, les Canadiennes et Canadiens se souviennent des événements choquants du 6 décembre 1989, lorsqu’un tireur a assassiné 14 jeunes femmes et en a blessé 14 autres à l’École Polytechnique de Montréal parce qu’elles étaient des femmes. Bien que des progrès considérables aient été réalisés au Canada pour lutter contre la violence faite aux femmes, le problème persiste, comme l’indique le gouvernement du Canada dans son Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe.

Des données récentes brossent un tableau alarmant.

La province de l’Ontario a connu 30 féminicides en 30 semaines entre novembre 2022 et juin 2023. Les féminicides ont augmenté de 27 % en 2022 par rapport à 2019; les filles sont deux fois plus vulnérables que les garçons à la violence familiale. Ceci n’est que la pointe de l’iceberg, car de nombreux féminicides et incidents de violence contre les femmes ne sont pas remarqués par les autorités ou les médias, en particulier chez les peuples autochtones.

Le gouvernement fédéral ne finance pas suffisamment le travail nécessaire pour lutter contre la violence basée sur le genre dans l’ensemble du pays.

Après le « massacre de Montréal », le gouvernement fédéral a investi 3 millions de dollars dans la politique publique, l’éducation, la législation et la recherche appliquée sur la violence contre les femmes et les enfants, en particulier les filles. En 1992, cet investissement s’est traduit par la création de sept centres d’excellence dans l’ensemble du Canada, connus sous le nom d’Alliance des centres de recherche canadiens sur la violence basée sur le genre.

Au cours des trente dernières années, les centres de l’Alliance ont mené plus de 400 études, dont un grand nombre ont utilisé des méthodes de recherche communautaires. Ils ont également amassé plus de 50 millions de dollars pour la recherche et ont formé près de 2 000 chercheuses et chercheurs dans le domaine de la violence basée sur le genre, qui ont apporté leur contribution à des établissements d’un bout à l’autre du Canada et dans le monde entier.

Les centres font le lien entre les chercheuses et chercheurs universitaires, les responsables des politiques et les organismes communautaires qui fournissent des services aux femmes et aux familles touchées par la violence. Depuis la création des centres de l’Alliance, l’implication des parties prenantes à tous les niveaux dans la résolution du problème de la violence basée sur le genre a été la clé de leur succès.

La recherche et les mesures de sensibilisation menées par les centres ont contribué de manière significative à la lutte contre la violence et l’adversité dont sont victimes les filles et les femmes au Canada, notamment grâce à l’enquête sur la violence envers les femmes de 1993 de Statistique Canada, en passant par les plus récents Plan d’action national pour mettre fin à la violence sexiste et Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation.

Les recherches des centres de l’Alliance ont influencé la formation du personnel des refuges, des conseillères et conseillers des programmes destinés aux enfants exposés à la violence basée sur le genre et du personnel d’animation des programmes visant à changer le comportement des hommes. Les centres ont conçu des programmes visant à prévenir la violence contre les femmes en travaillant avec les pères, et ces programmes se sont développés dans l’ensemble du Canada et dans le monde entier.

Les dirigeantes et dirigeants des centres de l’Alliance ont également pris part à diverses commissions et examens des décès axés sur la violence basée sur le genre, tels que la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse après les événements horribles de 2020, au cours desquels un tireur a agressé sa partenaire intime avant de se faire passer pour un policier et d’assassiner 22 personnes.

Aujourd’hui, les centres dirigent l’Alliance contre la violence et l’adversité (AVA) des Instituts de recherche en santé du Canada et forment la prochaine génération de chercheurs à travailler avec des partenaires communautaires pour lutter contre la violence basée sur le genre.

Cependant, leur financement est aujourd’hui menacé.  Il ne faut pas les laisser échouer.

Après l’investissement initial du gouvernement fédéral, le financement des infrastructures des centres provient principalement de fondations de bienfaisance. Toutefois, le financement de trois des sept centres prendra fin en 2024, laissant les trois provinces des Prairies pour compte. Il s’agit d’une perte importante, car les Prairies, où les taux de violence sont les plus élevés au Canada, ne seront plus représentées au sein de l’Alliance et ne contribueront plus aux dialogues nationaux.

Ironiquement, ces problèmes de financement des infrastructures surviennent au moment où Femmes et Égalité des genres Canada (FEGC) s’efforce de mettre en œuvre le Plan d’action national par l’entremise de discussions bilatérales avec les provinces afin de lutter contre la violence faite aux femmes dans tout le pays. Les centres de l’Alliance sont restés en marge de ces discussions et le maintien du financement de leurs infrastructures n’a pas été considéré comme une priorité.

La commission de la Nouvelle-Écosse est peut-être celle qui a le mieux cerné ce besoin en déclarant que « le financement de la prévention et de l’intervention efficace contre la violence basée sur le genre est inadéquat depuis de nombreuses années et met en danger la vie des femmes » et en recommandant « un financement de niveau épidémique pour remédier à ce sous-investissement dans la sécurité ».

Une autre recommandation propose la nomination d’un commissaire chargé de la lutte contre la violence basée sur le genre, dont le mandat consisterait notamment à « aider à coordonner un programme national de recherche et à promouvoir le partage des connaissances ».

Il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. Les centres de l’Alliance représentent l’occasion idéale de répondre à ces recommandations. Ils ont simplement besoin d’un financement solide de la part du gouvernement.

Ce n’est pas le moment de gâcher les succès et les gains durement acquis des centres de l’Alliance dans la lutte contre la violence basée sur le genre au Canada. N’avons-nous rien appris du passé? La commémoration est importante, mais elle ne suffit manifestement pas à résoudre les problèmes de violence contre les femmes qui subsistent à ce jour.

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