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Juger des convictions et des actions d’autrui freine notre action en matière de climat

by Emily Kennedy
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Les climatonégationnistes n’ont pas la cote dans les cercles progressistes.

Dans les entrevues que j’ai menées pour préparer un ouvrage paru récemment sur le sujet de la polarisation politique entourant la protection de l’environnement, des libéraux m’ont confié à quel point ils détestaient les conservateurs, affirmant que ces derniers ne se sentent pas concernés par les changements climatiques. Une participante à mon étude a même comparé le climatonégationnisme au tabagisme; si elle apprend que quelqu’un remet en question la science du climat ou ne prend pas de mesures sérieuses pour réduire son empreinte carbone, elle fait des détours pour l’éviter.

J’ai appris également que les conservateurs éprouvent un certain mépris à l’égard de ce qu’ils perçoivent comme une préoccupation feinte envers la protection de l’environnement.

Deux stéréotypes populaires dominent dans l’idée que se faisaient les participants sur les sentiments des libéraux et des conservateurs à l’égard de l’environnement. Les conservateurs imaginent les libéraux habitant un condo surplombant la ville, obsédés par le recyclage et se vantant d’acheter des produits dans un marché fermier local. À leurs yeux, ceux‑ci sont déconnectés de la nature et ne sont que des tartuffes vertueux souffrant d’un sérieux complexe de supériorité.

Les données tendent effectivement à démontrer que les libéraux sont plus enclins que les conservateurs à pratiquer le recyclage et à montrer une préférence pour les aliments locaux, si bien que ce stéréotype contient une part de vérité.

Pour leur part, les libéraux présentent les conservateurs comme des anti-environnementalistes, pour qui le profit passe résolument avant la protection de l’environnement. Ils les imaginent conduisant de gros camions alimentés au diesel, qui consacrent leurs temps libres à défoncer les sentiers en forêt dans leurs VTT. Ils les voient comme le principal obstacle à l’action climatique.

Ici encore, il y a une part de vérité dans ce stéréotype. Les conservateurs ont en effet tendance à préférer conduire des camionnettes; même si les taux de climatonégationnisme sont faibles et en baisse, les conservateurs sont plus enclins que les libéraux à contester l’idée que les changements climatiques sont causés par l’être humain.

Ces deux stéréotypes n’existent pas simplement en parallèle, l’un en face de l’autre, sur un pied d’égalité. Le stéréotype du libéral est davantage associé au pouvoir et au privilège que son pendant conservateur. Cette hiérarchie constitue un important facteur de polarisation autour des enjeux climatiques, mais qu’il est possible de neutraliser.

Pensons aux deux exemples suivants. Dans le premier cas, une étude sur les préférences alimentaires de la population canadienne nous apprend que les consommateurs affichant le niveau d’éducation et de salaire le plus élevé privilégient des aliments qui ne sont pas seulement délicieux et raffinés, mais qui sont bons aussi sur le plan éthique. Autrement dit, si le foie gras trônait autrefois au sommet du menu des classes supérieures, aujourd’hui c’est le flétan sauvage pêché à la ligne par une coopérative locale qui l’a remplacé. Cet exemple démontre qu’en matière d’environnement, l’éthique est étroitement associée à la notion de « bon goût ».

Le deuxième exemple est tiré d’une enquête menée auprès de la population néerlandaise sur ses convictions à l’égard de questions sociales importantes, dont les changements climatiques. Quatre orientations se dégagent de l’étude : 1) les États doivent adopter des politiques ambitieuses pour s’attaquer aux changements climatiques; 2) tout le monde doit mettre l’épaule à la roue; 3) il faudra compter sur la technologie et l’innovation; et 4) il n’y a rien qu’on puisse ou doive faire. Fait à souligner, ces convictions correspondent à des classes sociales précises : les personnes qui détiennent les plus grands pouvoirs et privilèges réclament des mesures de l’État; celles qui en ont le moins remettent en question la réalité même des changements climatiques.

Cette hiérarchie reflète celle des classes sociales et intègre les convictions et les pratiques en matière de protection de l’environnement.

Rappelons que les conservateurs sont plus enclins que les libéraux à remettre en question l’existence des changements climatiques, tandis que ces derniers ont davantage tendance à recycler et à acheter local. Ces modèles persistent depuis des décennies, depuis aussi longtemps, en fait, que des chercheurs enquêtent sur les convictions et les comportements en matière d’environnement. Ce qui a changé, c’est l’organisation de ces attributs en une hiérarchie correspondant à une échelle morale.

Alors, quelle serait la solution à cette impasse de la polarisation?

Le moyen le plus efficace pour la société civile de contribuer à la dissolution d’une hiérarchie sociale est l’empathie. Les études sur le phénomène de la déstigmatisation montrent que lorsqu’on commence à voir les gens comme des individus qui ont eux aussi des espoirs et des peurs, on est moins enclin à les considérer comme indignes de notre respect et de notre reconnaissance.

Les entrevues et les sondages que j’ai menés m’ont appris que nous nous soucions tous et toutes de l’environnement. Certes, nos façons de le manifester varient et peuvent être incompatibles; elles ont un sens particulier pour chacun et chacune, compte tenu de nos histoires de vie et du contexte social dans lequel nous évoluons.

Les changements climatiques nous placent devant ce que Bill McKibben a décrit comme la première menace existentielle pour l’humanité. Ce n’est pas faire bon usage de nos esprits et de nos cœurs que de porter des jugements moraux sur la relation d’autrui à l’environnement. Il faut commencer par reconnaître le terrain commun sous nos pieds.

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