Lorsque la pandémie a commencé il y a un an, le gouvernement fédéral s’est tourné vers les organismes du secteur communautaire – la Croix-Rouge, Fondations communautaires du Canada et Centraide – pour diriger 350 millions $ de fonds d’urgence vers les régions qui en avaient besoin à travers le Canada. Ce soutien a permis aux banques alimentaires, aux refuges pour femmes et à d’autres organismes communautaires de répondre rapidement à la demande croissante et évolutive en matière de services.
Grâce à leur gestion allégée et à leurs vastes liens avec la communauté, les organismes de bienfaisance, les OSBL, les entreprises à vocation sociale et les fondations qui composent le secteur communautaire canadien s’avèrent des partenaires naturels du gouvernement. Or, cela devrait être le cas non seulement en situation d’urgence, mais également lors de la conception et de la mise en œuvre des transitions plus importantes qui seront nécessaires après la pandémie.
De façon tout à fait compréhensible, les politiques et les finances publiques sont orientées vers une reprise et une reconstruction misant sur la résilience, avec des investissements sans précédent dans des infrastructures physiques qui créeront des emplois verts, ce qui contribuera à corriger le déséquilibre entre l’humain et son environnement naturel.
Cela dit, pour réaliser le plein potentiel de cette transition d’envergure, il ne faut pas oublier nos infrastructures sociales, qui comprennent les politiques, les pratiques et les relations qui nous permettent de créer une société plus résiliente, inclusive et durable à tous les niveaux, ce qui englobe la santé, l’éducation, la culture et nos processus démocratiques.
Or, la COVID-19 a révélé des injustices et des vulnérabilités systémiques à plusieurs égards, comme le racisme institutionnel, l’insalubrité de nombreuses résidences pour personnes âgées, l’absence de congés de maladie payés pour plusieurs personnes et l’insuffisance des services de garde. Nous pouvons ajouter à cette liste la réconciliation avec les peuples autochtones, l’écart de revenus et de richesses et l’augmentation des maladies chroniques qui minent la vie et le budget.
Dans l’économie fondée sur les valeurs que réclament Mark Carney, Mariana Mazzucato et d’autres personnes, la résolution de ces défis définit les voies vers un bien-être économique inclusif. Voilà pourquoi il est impératif d’élargir la portée du financement des infrastructures au-delà de leur dimension physique afin de déclencher une transition socioéconomique à l’échelle régionale et communautaire, ainsi qu’au sein des ménages.
Le rapport de 2018 pour l’innovation inclusive du Groupe directeur chargé de la co-création de la stratégie d’innovation sociale et de finance sociale a fourni un programme de modernisation du secteur social qui pourrait servir de modèle pendant la transition vers un monde post-COVID-19. Ce rapport demandait la création d’un fonds de finance sociale – qui a été annoncé dans la mise à jour budgétaire de l’automne 2018, mais n’a toujours pas été mis en œuvre – afin d’investir dans les entreprises à vocation sociale qui se concentrent sur des éléments comme la construction de logements abordables, l’entrepreneuriat autochtone et le microcrédit pour les immigrants.
Il proposait également d’investir dans l’amélioration de la capacité de gestion des données des organismes communautaires, ce qui permettrait de concevoir des interventions dans les systèmes sociaux et de mesurer leurs effets, ainsi que de soutenir le développement d’un « marché des solutions » dans lequel les investissements publics et privés viendraient compléter les subventions et les dons en finançant les initiatives générant les meilleurs résultats pour des enjeux comme l’itinérance et l’emploi des jeunes.
En plus des capitaux et des données, nous avons besoin d’éléments probants. Le rapport demande donc la création de « centres de solutions et d’approches efficaces », similaires à ceux du Royaume-Uni, où les décideurs politiques, les concepteurs de programmes et le public pourraient avoir accès à des résumés en langage clair des recherches en cours sur des questions comme la prévention des maladies chroniques, le développement de la petite enfance et la santé mentale.
La supervision gouvernementale doit également évoluer pour passer du mode actuel, dans lequel l’ARC effectue un microcontrôle des activités entourant les dons de bienfaisance, à un mode qui reconnaît que le réseau du secteur est de plus en plus vaste, alors qu’il relie l’engagement citoyen aux priorités nationales, en collaboration avec tous les paliers de gouvernement, le secteur privé et le milieu universitaire, pour générer des changements systémiques.
Nous sommes plus forts quand nous travaillons tous ensemble. Et en cette période de transition sociétale, les gouvernements, les entreprises et le secteur communautaire ont besoin d’outils pour favoriser une innovation collaborative axée sur le changement systémique.
La plus importante recommandation de ce rapport – et la plus urgente – réside dans la création d’un conseil permanent d’innovation sociale avec le gouvernement, et éventuellement le secteur privé, afin que la population canadienne puisse savoir que les organismes qu’elle soutient grâce à ses dons et l’argent de ses impôts se font entendre sur des questions essentielles au bien-être social et économique pendant la transition vers une économie sans carbone.
Et dans la foulée de la crise actuelle, nous suggérons également que cette entité soit conçue comme un « conseil de transition innovante », auquel participeraient tous les secteurs qui appuient les changements communautaires conformément à l’engagement du Canada envers les objectifs de développement durable des Nations Unies. Ce conseil devrait être similaire et complémentaire au Groupe consultatif pour la carboneutralité annoncé récemment par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique.
Tout comme le système de santé du Canada intègre les contributions des secteurs public, privé et communautaire, la reprise et la construction d’une société plus inclusive et durable doivent faire l’objet d’efforts. Alors que les gouvernements et le secteur privé planifient des investissements de plusieurs milliards de dollars dans les infrastructures physiques, il importe que le secteur communautaire participe aussi à la construction de meilleures infrastructures sociales.
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