Cet été a brûlé la Terre, battant des records de chaleur à l’échelle mondiale et déclenchant des incendies de forêt qui ont étouffé les villes d’Amérique du Nord. Et qu’en est-il du directeur général de Suncor, Rich Kruger? Il a choisi ce moment pour annoncer que son entreprise allait augmenter sa production de sables bitumineux et délaisser sa stratégie en matière d’énergies renouvelables.
Malheureusement, Suncor n’est pas le seul producteur à agir de la sorte. Récemment, Shell et BP ont annoncé leur intention de ralentir leur progression vers les énergies propres et de pomper davantage de combustibles fossiles, qui sont la principale cause de la crise climatique. Elles ont choisi de consacrer leurs bénéfices records aux dividendes des actionnaires et à la rémunération des dirigeantes et dirigeants plutôt que d’investir dans la transition vers l’énergie propre. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les entreprises d’exploitation des sables bitumineux demandent en même temps aux contribuables canadiens de dépenser encore plus pour subventionner le nettoyage de la pollution qu’elles causent.
Ces annonces sont honteuses, mais elles ont au moins le mérite d’être claires. Après des années d’annonces pieuses et de publicité bienveillante de la part des entreprises, croire que le secteur du pétrole et du gaz a à cœur autre chose que ses propres profits relève de la pensée magique. Surtout après qu’ExxonMobil — où M. Kruger a travaillé pendant 40 ans — a passé des décennies à cacher, à nier et à minimiser les risques climatiques que posent les combustibles fossiles. C’est pourquoi il est temps de faire ce que la majorité de la population canadienne — y compris celle de l’Alberta — croit nécessaire, c’est-à-dire d’imposer un plafond strict aux émissions de l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.
C’est aussi la raison pour laquelle nous devons prendre au sérieux la carboneutralité et ne pas laisser de mauvais acteurs vider de son sens l’objectif de l’Accord de Paris, soit de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius afin d’éviter les pires conséquences du changement climatique.
Nous devons réduire de moitié les émissions mondiales d’ici 2030 si nous voulons atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Cela nécessite des efforts beaucoup plus ambitieux pour réduire les émissions dès maintenant tout en augmentant les investissements dans les énergies propres. Les plans bidon visant à atteindre la carboneutralité à la onzième heure empirent la crise climatique et ne sont rien d’autre que de l’écoblanchiment.
L’année dernière, lors de la COP27, les Nations Unies ont publié le rapport Integrity Matters (en anglais seulement), produit par un groupe d’experts de haut niveau que j’ai présidé. Le rapport établit des critères clairs pour les engagements en matière de carboneutralité : toute entreprise ou région qui se fixe des objectifs de zéro émission nette ne peut pas continuer à construire ou à investir dans de nouvelles sources de combustibles fossiles. Les entreprises ne peuvent pas reporter les réductions réelles d’émissions en achetant des crédits carbone. Elles ne peuvent pas non plus faire pression en privé contre l’action climatique tout en prétendant être des championnes du climat. Les progrès réalisés dans le cadre des engagements en matière de carboneutralité doivent être rendus publics et faire l’objet d’une vérification indépendante. Il s’agit de normes tangibles et spécifiques qui, lorsqu’elles sont combinées, peuvent faire avancer le monde dans la bonne direction.
Mais un an plus tard, alors que d’autres industries ont commencé à prendre des mesures, de nombreux producteurs de pétrole et de gaz aggravent la situation en se cachant derrière des façades d’écoblanchiment comme la Pathways Alliance — un consortium dont Suncor fait partie —, qui fait actuellement l’objet d’une enquête du Bureau de la concurrence du Canada pour publicité mensongère.
Quelle est la gravité de la situation? Un rapport de 2021 a révélé que plusieurs membres de l’Alliance — Suncor, Cenovus et Canadian Natural Resources — n’ont pas l’intention de cesser d’approuver de nouveaux projets d’extraction ou d’exploration. Le rapport annuel 2022 de Suncor montre que la société continue d’accroître sa production de sables bitumineux. Des rapports d’enquête ont révélé que la Pathways Alliance a exercé des pressions pour retarder et affaiblir la proposition de plafonnement fédéral des émissions de pétrole et de gaz.
En outre, un rapport publié la semaine dernière révèle que le Canada est en passe de devenir le deuxième pays au monde pour l’extraction de nouveaux gisements de pétrole et de gaz d’ici 2050. Les émissions connexes générées équivaudraient à l’ouverture de 117 nouvelles centrales au charbon. C’est une erreur et une mauvaise décision, tant pour le climat que pour l’économie.
Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, le dit le mieux que quiconque : « Investir dans de nouvelles infrastructures de combustibles fossiles est une folie morale et économique. Ces investissements seront bientôt des actifs échoués — une tache dans le paysage et un fléau pour les portefeuilles d’investissement. Mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. »
En effet, le secteur canadien du pétrole et du gaz pourrait faire partie de la solution à la crise climatique au lieu d’y contribuer de manière importante. Il pourrait être un leader et non un retardataire en faisant du Canada une puissance en matière d’énergie propre, qui crée de bons emplois pour les travailleuses et travailleurs et arrive à s’imposer dans l’économie propre qui représente des billions de dollars.
Au lieu de cela, Suncor et des organisations telles que la Pathways Alliance nous rappellent que les paroles ne valent rien. La population canadienne n’est pas dupe. Elle voit clair dans leur jeu, mais le temps presse. Les émissions absolues provenant du pétrole et du gaz sont en hausse. Des mesures concrètes — et un plafond strict pour les émissions de pétrole et de gaz — doivent être mises en œuvre dès maintenant
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