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Il est temps de créer un registre national des donneurs de sperme

by Vanessa Gruben
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Un documentaire révèle que trois donneurs de sperme d’une même famille ont engendré des centaines d’enfants

Un documentaire récent a révélé que trois donneurs de sperme d’une même famille du Québec sont les géniteurs biologiques de centaines d’enfants. Après avoir publié des annonces sur Facebook, ces hommes ont parcouru la province pour fournir du sperme à des personnes désireuses d’avoir un enfant.

Il y a des raisons de s’inquiéter d’une procréation aussi prodigieuse. Aussi, deux des donneurs sont atteints d’une maladie génétique héréditaire, la tyroninémie, transmissible génétiquement. La situation soulève également des inquiétudes quant à la consanguinité, car un grand nombre de demi-frères et demi-sœurs génétiques et de demi-cousins potentiels se retrouvent dans une zone géographique relativement petite.

Quand le documentaire a été porté à l’attention du directeur de la santé publique du Québec, ce dernier s’est avoué « surpris » et a déclaré que personne au Canada « n’avait vu ça arriver ». Beaucoup de gens cependant s’y attendaient.

Des responsables des politiques, des universitaires et des personnes conçues par don de gamètes tirent la sonnette d’alarme depuis des décennies et plaident pour la création d’un registre permettant de répertorier les donneurs de sperme et leur progéniture ainsi que de limiter le nombre de naissances par donneur.

Déjà, en 1993, la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction recommandait d’imposer une limite de 10 naissances vivantes par donneur de sperme et de créer un registre national. En 2004, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur la procréation assistée, laquelle anticipait également la nécessité de créer un registre des donneurs pour informer les personnes conçues par don de gamètes de tout risque pour leur santé et leur sécurité ainsi qu’un mécanisme leur permettant d’identifier les frères et sœurs génétiquement apparentés.

Les dispositions de la Loi qui auraient permis au gouvernement fédéral d’établir un registre ont cependant été abrogées en 2010. La Cour suprême a conclu que la question ne relevait pas de l’autorité fédérale et a laissé aux provinces le soin d’agir. Les provinces ne sont toutefois pas intervenues. Elles ont plutôt continué à ignorer la nécessité de créer un registre de donneurs, du moins jusqu’à présent.

L’inquiétude suscitée par les dons excessifs de sperme de ces trois hommes a incité le gouvernement du Québec à agir; la province étudie la possibilité de fixer des limites au nombre d’enfants issus de dons de sperme. C’est un premier pas dans la bonne direction, mais le Québec n’y arrivera pas seul.

Tous les gouvernements provinciaux doivent collaborer à l’établissement d’un registre national des donneurs, et le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer pour réunir les ministères de la santé provinciaux et territoriaux et piloter les efforts pour atténuer les risques auxquels sont exposées les personnes conçues par don de gamètes.

Le Canada serait en bonne compagnie. De nombreux autres pays disposent depuis longtemps de registres qui permettent aux gouvernements et aux organismes de suivre les dons de sperme et d’ovules, ou de fixer des limites au nombre d’utilisations du sperme (ou des ovules) d’un donneur. Par exemple, au Royaume-Uni, la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA) possède une base de données qui contient des informations sur tous les donneurs et les enfants conçus par don de gamètes depuis 1991. En outre, la HFEA fixe une limite de 10 familles pouvant être créées à partir des gamètes d’un donneur.

Des cadres réglementaires comparables existent en Australie, en Belgique, au Danemark, en France, aux Pays-Bas, en Norvège et dans bien d’autres pays. De plus en plus, les experts réclament également l’imposition de limites internationales, compte tenu du fait que le sperme et les donneurs de sperme voyagent souvent au-delà des frontières.

La réglementation n’est pas infaillible : des scandales peuvent survenir même lorsqu’il existe des registres et des limites. L’année dernière, des organes de presse ont rapporté qu’un Néerlandais aurait eu plus de 500 enfants génétiques, malgré l’existence d’un registre et d’une limite de donneurs, après avoir fourni de fausses informations aux parents potentiels et aux cliniques de fertilité sur le nombre de ses dons.

Certains cas sont également difficiles à repérer, en particulier quand les dons se font en dehors des cliniques de fertilité et que les donneurs et les bénéficiaires se rencontrent sur les médias sociaux. C’est ce qui est arrivé au Québec. Il n’est pas certain qu’un registre ou des limites imposées aux donneurs arrêtent ceux qui sont déterminés à défier le système.

Il n’en reste pas moins que les registres de donneurs et les limites imposées aux donneurs sont des outils importants qui montreront que le Canada prend au sérieux les intérêts des personnes conçues par don de gamètes et de leurs familles.

Un registre de donneurs fiable contiendra les informations relatives aux donneurs et aux personnes conçues par don de gamètes, permettra de repérer les dons multiples et donnera aux personnes conçues par don de gamètes et à leurs familles la possibilité de partager des informations. Nommer également un médiateur ou une médiatrice responsable de traiter les plaintes et les inquiétudes relatives à d’éventuels problèmes pourrait être fort judicieux.

Le fait que trois hommes au Québec aient eu à eux seuls des centaines d’enfants génétiquement apparentés n’est pas une surprise pour ceux et celles qui ont prêté attention à la gouvernance de la fertilité au Canada et ailleurs. Nous espérons que cette situation incitera le Québec, et le reste du Canada, à élaborer une approche coordonnée et globale pour protéger les intérêts des Canadiennes et des Canadiens conçus par don de gamètes.

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