Il est temps de mettre un frein à l’aide médicale à mourir (AMM) au Canada pour les personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est la maladie mentale.
Le gouvernement fédéral a mandaté le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir de déterminer si le Canada est prêt à étendre l’admissibilité à l’AMM, à partir de mars 2024, aux patients souffrant uniquement de maladies mentales. Même si plusieurs sont convaincus qu’il est temps, et sans danger, de lancer l’équivalent de l’« euthanasie psychiatrique », le Comité spécial doit prêter attention à un murmure de protestation qui s’est transformé en rugissement : « Ottawa, nous avons un problème. »
Deux raisons principales justifient l’abandon de cette mission. L’admissibilité actuelle à l’AMM exige qu’une personne soit atteinte d’une maladie grave et irréversible. Contrairement à certains cancers et à de nombreux troubles neurodégénératifs, aucun trouble mental ne peut être qualifié d’irréversible. Il existe bien sûr des personnes dont les troubles mentaux ne s’améliorent pas malgré une myriade de traitements ou d’interventions psychosociales. Or, il n’existe actuellement aucun moyen de prédire quels patients ne guériront pas.
Les études sur la précision des pronostics montrent que les psychiatres se trompent la moitié du temps. J’ai soigné des patients qui étaient aux prises avec une suicidalité chronique et dont je craignais qu’ils ne s’enlèvent la vie à un moment donné. Je me souviens d’une femme souffrant d’une dépression écrasante qui vacillait dangereusement entre la vie et la mort. Un jour, après des années d’innombrables essais de médicaments, d’hospitalisations, de thérapie électroconvulsive et de diverses interventions psychosociales, elle s’est présentée à son rendez-vous, trois semaines après avoir commencé à prendre un nouvel antidépresseur, avec un sourire aux lèvres.
« La porte est violette », a-t-elle déclaré. Je lui ai dit que la porte avait toujours été violette, ce à quoi elle a répondu : « Je sais, mais maintenant cela m’importe. »
Avant ce moment, personne — ni moi, ni ses amis, ni sa famille, ni les membres du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, ni aucun évaluateur de l’AMM — n’aurait pu prédire son rétablissement.
Des soins intensifs, constants et empreints de compassion — et non l’AMM — constituent le moyen le plus efficace de traiter ce type de souffrance.
L’autre raison de ne pas mettre en œuvre l’euthanasie psychiatrique est notre incapacité à déterminer la suicidalité des personnes qui demandent l’AMM et dont le seul problème de santé sous-jacent est la maladie mentale. Selon l’Association canadienne pour la prévention du suicide, une personne qui n’est pas en train de mourir à cause de son problème de santé (p. ex. une personne souffrant d’un trouble mental), mais qui souhaite mourir, est suicidaire, par définition.
De même, le premier élément énuméré par l’American Association of Suicidology pour différencier le suicide de la mort accélérée par un médecin est que le patient doit être en train de mourir. Cela ne caractérise certainement pas les patients atteints de maladies mentales.
Malgré cela, certains partisans de l’expansion de l’AMM disent au Comité mixte spécial que « la suicidalité et le fait d’avoir une raison de vouloir mourir ne sont pas du tout la même chose. » On peut dire autant de fois que l’on veut que « six » et « une demi-douzaine » ne sont pas identiques. À force de le répéter de manière cohérente et sans équivoque, cette affirmation peut même sembler convaincante, mais cela n’en fait pas une vérité.
Les patients qui sont aux prises avec la suicidalité ont souvent une raison de vouloir mourir, fondée par exemple sur le dégoût de soi, le sentiment d’être un fardeau ou l’épuisement à poursuivre les soins et l’aide qui pourraient les soutenir. Dans ces circonstances, la distinction entre l’AMM et le suicide disparaît tout simplement.
La plupart des partisans de l’euthanasie psychiatrique sont prêts à ignorer tout cela, affirmant que le fait de ne pas étendre l’AMM aux personnes souffrant de maladies mentales est discriminatoire. Éviter la discrimination ne signifie pas que tout le monde est traité de la même manière, mais plutôt que chacun bénéficie d’un accès égal à ce dont il a besoin pour s’épanouir.
Prétendre qu’une injection létale pour les personnes souffrant de maladies mentales est une réponse respectueuse, compatissante et nécessaire à leur souffrance revient à défendre la vertu d’aider les gens à accéder au balcon d’un immeuble en feu pour qu’ils puissent choisir la mort, plutôt que de chercher à contrôler ou à éteindre l’incendie.
À maintes reprises, les membres du comité ont demandé aux témoins quand le programme canadien d’euthanasie psychiatrique pourrait être lancé. Je leur suggère de se comporter comme la NASA. Lorsqu’un problème potentiellement catastrophique est décelé avant le décollage, les ingénieurs spatiaux ne fixent pas arbitrairement une nouvelle date de lancement, pas plus que Santé Canada n’annonce une date aléatoire pour la mise sur le marché d’un nouveau médicament dont on a découvert qu’il avait des effets secondaires inacceptables.
Les membres du Comité mixte spécial doivent écouter et faire preuve de raison, de sagesse et de retenue face à une opposition farouche.
« Ottawa, nous avons un problème. » Le gouvernement fédéral aurait tout intérêt à abandonner cette mission. Or, si l’on insiste pour aller de l’avant, le lancement ne devrait avoir lieu que lorsque les problèmes seront résolus, et pas un instant plus tôt.
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