Tout comme des milliers d’autres personnes ayant une déficience intellectuelle
Il y a dix ans, la vie de ma sœur a été rayée d’un trait de stylo, tout comme celle de milliers d’autres personnes vivant avec une déficience intellectuelle.
Teresa est atteinte du syndrome de Down. Elle avait 49 ans au moment où on a effectué une évaluation de sa capacité en Ontario. Je voyais qu’elle était une femme heureuse, en bonne santé et active. Elle aimait vivre près de chez moi avec mon père âgé de 91 ans, qui disait souvent qu’ils formaient une bonne équipe et s’aidaient mutuellement.
Mais ce n’est pas ainsi que le travailleur social l’a considérée.
Teresa ne comprenait pas pourquoi on l’évaluait. Il est indiqué dans le rapport qu’elle ne voulait pas être évaluée. Elle n’a toutefois pas refusé l’évaluation. Alors le travailleur social lui a posé des questions sur ses activités de la vie quotidienne. Quand Teresa a déclaré qu’elle pouvait se doucher et s’habiller seule, il a conclu que le fait qu’elle affirmait être indépendante était une preuve de sa « détérioration cognitive ». D’autres personnes lui avaient affirmé qu’elle ne pouvait pas faire ces choses-là. Alors il a coché la case « incapable » du formulaire.
Teresa a immédiatement perdu le droit de décider de son lieu de résidence.
J’ai été d’abord stupéfaite quand j’ai appris la nouvelle. Respectait-on les droits de la personne de Teresa ? Son droit de vivre dans la société n’était-il pas protégé par la Charte des droits ou par l’ONU ? L’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées établit qu’une personne handicapée a le droit de vivre dans la société, a le droit de choisir son lieu de résidence et ne doit pas être isolée ni victime de ségrégation. Ces déclarations n’ont cependant pas protégé Teresa.
Trois ans après l’évaluation de Teresa, un reportage a révélé que 2 900 jeunes vivant avec une déficience intellectuelle résidaient dans des foyers de soins infirmiers en Ontario.
De l’autre côté de la frontière, l’organisme Disability Rights New Jersey a signalé en 2023 que plus de 2 000 jeunes vivant avec une déficience intellectuelle résidaient dans des établissements de soins de longue durée contre leur gré parce que l’État avait mal évalué leurs besoins. Exactement comme pour Teresa.
L’an dernier, le premier ministre de la Nouvelle-Écosse s’est excusé auprès des personnes néo-écossaises en situation de handicap pour la « traditionnelle discrimination systémique » qu’ils avaient subie et qui leur refusait le droit de décider de leur lieu de vie. La rapporteuse spéciale des Nations Unies, Catalina Devandas-Aguilar, a écrit : « La privation de liberté des personnes handicapées est un problème majeur de droits de l’homme à l’échelle mondiale. »
Les foyers de soins infirmiers sont discrètement devenus des dépotoirs pour les personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle.
Après l’évaluation de sa capacité en 2013, Teresa a été admise dans un foyer de soins infirmiers, même si j’avais proposé qu’elle vienne vivre chez moi. Elle était bouleversée. J’étais indignée. Et notre père, son principal proche aidant, avait le cœur brisé. Teresa était piégée, incapable de sortir du foyer sans aide extérieure.
J’ai entendu bien des excuses : il n’y a pas assez de foyers de groupe ! Teresa est sur une liste d’attente depuis cinq ans ! Un lit dans un foyer de soins infirmiers, ce n’est pas génial, mais ce n’est pas non plus si terrible. Le gouvernement va payer pour tout ! Et puis, la réflexion implicite : quel avenir s’offre à elle de toute façon ?
Quatre jours après l’admission de Teresa dans le foyer de soins, je me suis rendue au foyer avec mon père, qui a signé la décharge, et Teresa a obtenu son congé « contre l’avis médical ». Teresa a emménagé chez moi le lendemain.
J’étais consternée que le système ait laissé tomber Teresa. Je voulais que les politiciens et les politiciennes s’assurent que cette situation ne se reproduise pas. Deux mois plus tard, Teresa et moi avons témoigné devant le Comité spécial des services aux personnes ayant une déficience intellectuelle en Ontario. Nous avons raconté l’histoire de Teresa en joignant des photos d’elle à ses documents médicaux. J’ai déclaré que Teresa était une adulte active, résolue et bien portante, et qu’elle n’aurait jamais dû être admise dans un foyer.
À la fin de notre témoignage, la vice-présidente du Comité, la députée Christine Elliott, a affirmé considérer, comme tous les membres du comité, que cette histoire était vraiment bouleversante. Le rapport final du Comité, qui a été publié le 22 juillet 2012, précise que : [traduction] « Les établissements de soins de longue durée sont contraints d’accueillir des personnes jeunes ou d’âge moyen vivant avec une déficience intellectuelle qui n’ont pas besoin des soins médicaux qu’ils offrent. De plus, ces établissements ne sont pas formés pour s’occuper de cette clientèle. »
Cela fait dix ans que Teresa a obtenu son congé et elle est pleinement épanouie. Un de ses dessins a été utilisé sur un t-shirt pour célébrer en 2024 la Journée mondiale de la trisomie 21.
Le système a bousillé l’évaluation de Teresa et elle s’en est tirée de justesse. Cependant, Teresa s’est battue et a récupéré ses droits. En 2014, lors de la Journée mondiale de la trisomie 21, Teresa a déclaré qu’elle avait le droit, comme être humain, de décider où elle voulait vivre. Elle a demandé au gouvernement de s’excuser. Deux ans plus tard, le ministre de la Santé de l’Ontario a présenté publiquement ses excuses à Teresa.
Même si l’alarme a été sonnée il y a dix ans, des milliers de jeunes vivant avec une déficience intellectuelle résident encore aujourd’hui dans des foyers de soins infirmiers, et d’autres continuent d’y être dirigés. Ce n’est pas juste. Les foyers ne sont pas destinés aux personnes qui ont encore des décennies à vivre. Le séjour moyen en foyer est de 2,3 ans, et la plupart des résidentes et résidents n’en sortent pas vivants.
Les personnes les plus vulnérables, y compris celles qui vivent avec une déficience intellectuelle, ne peuvent pas se défendre contre un système de soins forcés. Les lois existantes n’empêchent pas cette tragédie. Nous devons éduquer les gens sur la discrimination fondée sur le handicap afin de changer les attitudes sociales et devenir vraiment inclusifs.
Photo gracieuseté de l’auteur