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Le budget fédéral est l’occasion de combler les lacunes de notre système de santé

by Ivy Bourgeault, Steven Lewis
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Il est temps d’avoir des conversations difficiles et de prendre des risques innovants pour offrir aux Canadiens le système de santé qu’ils méritent.

Les soins primaires ne répondent pas aux besoins de plusieurs Canadiennes et Canadiens en matière d’universalité, d’intégralité et d’accessibilité, et ce, malgré l’inscription de ces principes fondamentaux dans la Loi canadienne sur la santé.

Le Canada dispose actuellement d’un ensemble hétéroclite de centres de soins de première ligne indépendants, qui mènent leurs activités sans attentes claires en matière de rendement et de reddition de comptes. C’est notamment en raison de la structure de ce système, plutôt que de circonstances imprévues, que tant de travailleurs de la santé sont épuisés et que 6,5 millions de Canadiens sont privés d’un accès simple et régulier aux soins.

À quelques exceptions près, les soins primaires complets et centrés sur la personne ne sont ni accessibles ni efficaces pour les patients ayant des besoins complexes. Or, ce dysfonctionnement semble étonnamment toléré par des travailleurs épuisés et un public désabusé.

Une stratégie modérée et progressive — comprenant des projets pilotes à court terme, un recrutement international accru et de nouvelles écoles de médecine — est inefficace, éthiquement douteuse ou tout simplement irréaliste. Elle n’entraînera pas les changements nécessaires.

Le gouvernement fédéral a une occasion unique et opportune de corriger le tir avec son budget de 2024. Il faut investir dans la formation aux soins primaires dispensés par des équipes et dans l’élaboration d’indicateurs de rendement et de normes régissant la reddition de comptes. En outre, Ottawa devrait se concentrer sur les technologies du 21e siècle et montrer l’exemple dans un domaine complexe où les compétences sont partagées avec les provinces et les territoires.

Malgré l’inertie qui caractérise la « réforme » des soins de première ligne au Canada, il existe un large consensus sur les mesures devant être prises : une réorganisation à grande échelle du système de santé et une réelle responsabilisation de chaque instance. Ces mesures doivent être soutenues par un financement substantiel, ciblé et suffisant pour marquer un véritable changement.

Les rapports se succèdent pour demander la mise en place d’un système de soins primaires qui dépasse ses racines artisanales, afin d’offrir à chaque Canadien un accès opportun et continu à des équipes de santé qui mettent à profit l’ensemble des compétences de leurs spécialistes.

Dans un monde idéal où le fédéralisme serait davantage axé sur la collaboration, Ottawa et ses partenaires négocieraient des augmentations significatives de la proportion des transferts fédéraux vers les soins de première ligne. L’histoire laisse plutôt entrevoir qu’un tel résultat est peu probable.

Une autre solution serait d’amorcer un changement transformationnel.

Il faudrait d’abord adapter et arrimer les soins primaires à leur finalité. La population actuelle est en moyenne 20 ans plus âgée que lors de l’implantation de l’assurance-maladie.

Des millions de Canadiens ont des besoins multiples et complexes, en particulier les personnes âgées fragiles, les personnes souffrant de maladies chroniques, les groupes socioéconomiques et culturels marginalisés et les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou de dépendance. Aucun médecin de famille ou personnel infirmier praticien ne peut gérer seul des cas aussi complexes.

Pour réussir, il faut un village, c’est-à-dire des équipes interdisciplinaires de soins primaires. Les soins de première ligne complets doivent inclure la santé mentale, la réadaptation, la pharmacie et la diététique, mais aussi couvrir un éventail de diagnostics et des partenariats avec d’autres organismes communautaires. Il faut aussi se doter d’une infrastructure adéquate : des bâtiments conçus pour accueillir des équipes et un excellent système d’information sur la santé.

Le gouvernement fédéral devrait être la source de « capital de risque » pour les soins de santé.

Les investissements intelligents libèrent et exploitent le potentiel de leadership organisationnel et clinique, facilitent les conversations difficiles et soutiennent une combinaison d’innovations descendantes et ascendantes.

À cette fin, le budget de 2024 doit adopter des mesures pour soutenir l’innovation à grande échelle dans notre système de santé. Cela se traduit notamment par l’octroi de davantage de fonds aux provinces et aux territoires, dont les plans sont les plus ambitieux en matière de modèles de soins primaires fondamentalement nouveaux, conçus pour servir ceux qui en ont le plus besoin.

Voici quatre mesures précises que le gouvernement fédéral devrait intégrer dans son budget :

1. Investir dans de nouvelles approches de la formation aux soins primaires. Les soins interdisciplinaires dispensés par des équipes ne seront jamais pleinement réalisés si les prestataires continuent d’être formés individuellement. Au lieu d’écoles de médecine, de sciences infirmières et de physiothérapie, il devrait y avoir des écoles de soins primaires où les étudiantes et les étudiants apprennent les bases de la santé, de la maladie, de la santé de la population et des déterminants sociaux de la santé.

Les étudiantes et les étudiants devraient également apprendre dès le premier jour à travailler en équipe ainsi qu’à organiser et déployer les ressources et les talents de l’équipe dans l’intérêt de leurs patients (et de leur propre durabilité).

Les écoles de soins primaires ne devraient pas être des points d’entrée vers une spécialisation au sein d’établissements. Elles devraient être les centres de formation d’un secteur des soins primaires en pleine expansion et beaucoup plus compétent, tout en assurant la majeure partie de l’éducation permanente.

2. Investir dans le développement d’indicateurs de rendement, dans des stratégies d’optimisation du personnel et dans des politiques visant une véritable reddition de comptes sur la qualité, l’efficacité et les résultats des soins primaires.

Ces mesures devraient être conçues et adoptées conjointement par les gouvernements, les prestataires, les équipes de recherche et le public. Les données qui permettront d’évaluer le rendement du système et son amélioration devraient être générées en temps réel et être facilement accessibles à toutes les parties impliquées.

Par l’intermédiaire de ses organisations de santé pancanadiennes, le gouvernement fédéral pourrait également bonifier ses rapports publics sur le rendement en guise d’élément clé de l’amélioration continue de la qualité des services. Cela permettrait de renforcer la reddition de comptes et de mieux informer le public. Des initiatives concomitantes de recherche et d’évaluation solides et intégrées permettraient d’universaliser et d’étendre les approches les plus solides.

3. Soutenir l’adoption de processus et de technologies du 21esiècle afin de rendre les soins primaires plus accessibles, pratiques et efficaces. Déjà, de nombreuses personnes préfèrent les rendez-vous en ligne, souhaitent accéder à leur dossier médical électronique et veulent naviguer sur des sites Web de haute qualité, alimentés des données probantes, qui soutiennent l’autogestion et les aident à prendre des décisions.

Considérer les patients comme des partenaires pourrait devenir la nouvelle norme. Bien entendu, ces transformations comportent des incertitudes, des risques et des conséquences imprévues auxquels les prestataires et le public devront s’adapter.

4. Le gouvernement fédéral devrait montrer l’exemple en développant les soins primaires les plus innovants.

La responsabilité du gouvernement en matière de services de santé pour les Autochtones est l’occasion idéale de maximiser son impact. Il existe un besoin particulier de soins dispensés par des équipes autochtones et dirigées par des Autochtones, qui intègrent et reconnaissent les rôles essentiels des anciens, des herboristes, des sage-femmes autochtones et d’autres personnes au sein d’équipes interdisciplinaires innovantes.

Les centres médicaux, dentaires et de physiothérapie des Forces armées canadiennes au Canada et à l’étranger pourraient soutenir la diffusion des innovations en matière de services de soins primaires en adoptant et en présentant des pratiques de pointe fondées sur le travail d’équipe.

Bien entendu, le fédéralisme fait en sorte qu’Ottawa ne peut pas dicter de solutions aux provinces et aux territoires ni imposer unilatéralement des conditions strictes à ses transferts de fonds. Ce système politique peut néanmoins soutenir le travail nécessaire pour amorcer un changement significatif.

Par rapport aux autres pays riches de l’OCDE, le Canada investit beaucoup trop peu dans les soins primaires.

Il est temps de voir plus grand que les fonds fédéraux de transition pour les soins primaires d’il y a vingt ans. Ces fonds étaient alloués à des microprojets qui n’étaient pas assez importants pour être universalisés et adaptés, et qui n’étaient dotés d’aucun ensemble cohérent de principes et de responsabilités favorisant la transformation du système.

La population canadienne doit également se mobiliser, hausser ses attentes et ses exigences et être ouverte à l’innovation, en reconnaissant que les soins primaires ne se limitent pas à l’accès à un médecin de famille. Il ne faut pas lancer de fleurs aux gouvernements lorsqu’ils investissent des fonds qui ne contribuent qu’à maintenir le statu quo.

Aucune patience ne doit être accordée aux gouvernements qui veulent simplement plus de fonds fédéraux sans rendre compte des améliorations qui en découleraient. Après tout, il s’agit de l’argent des contribuables et c’est à eux que tous les niveaux de gouvernement doivent faire rapport.

Il faut exiger que les deux niveaux de gouvernement s’entendent, car la santé et les soins de santé sont l’affaire de tous. La clé de la mobilisation est de montrer que la transformation n’est pas une utopie, mais qu’elle est à la fois nécessaire et réalisable grâce à une stratégie solide, des investissements prudents et une conception efficace.

Il est temps de se mobiliser, d’amorcer des conversations difficiles, de prendre des risques innovants et de mettre en place le système que la population canadienne mérite.

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